sexta-feira, 18 de outubro de 2013

Pourquoi et comment y a-t-il du mouvement ?


Heidegger et Derrida ont rendu possible de reprendre cette question centrale de la Physique d’Aristote, d’esquisser une phénoménologie où les sciences du XXe siècle ont un rôle philosophique
(le double bind y remplace l’ousia / accidents)

1. « Il faut émietter le tout », a proclamé Nietzsche contre Hegel. Voilà que c’est fait, nous y sommes, car c’est bien notre situation à nous aujourd’hui, condamnés à ne savoir que des miettes. Il n’y a pas grand monde pour se scandaliser de cette défaite de la pensée, on s’y résigne sans s’en rendre compte, en comprenant peut-être confusément que cet émiettement et tous les relativismes qui viennent avec, c’est un effet du développement des sciences qui se sont multipliées en des spécialités sans compte, sans contrôle, défi à tout savoir unifié. Face à cette multitude de savoirs que les philosophes dorénavant ignorent, les philosophies reçues, au tour du sujet et de l’objet, n’avaient pas de chance de s’en défendre – le ‘sujet’ est fils de l’‘âme’, opposé au corps, au langage, au travail, à la société, à tous ces ‘objets’ que les sciences nous font connaître –, perdue semble-t-il la capacité systématique dont Hegel aura été le dernier artisan. Or, ce fut son ‘tout’ à lui, essai de maîtriser le relativisme au moment où il embrassait en philosophe l’histoire, ce royaume de la relativité par excellence, de l’indétermination, ce fut son ‘tout’ qui a été vu par nombre de gens, à tort ou à raison, comme la source des terribles totalitarismes de la première moitié du XXe siècle, qui ont été en conséquence amenés à refuser l’entreprise systématique elle-même et sa détermination.
2. Comment répondre à cette double méfiance ? Au manque de tradition philosophique satisfaisante pour les nouvelles questions scientifiques, on ne pourra répondre que par le recours au savoir offert par les sciences elles-mêmes, les biologies, linguistiques et sémiotiques, anthropologies, économies, sciences sociales, psychologies avec neurologies, avoir donc recours au matériel émietté lui-même, aux grandes découvertes du XXe siècle ; ceci peut être fait si l’on se souvient que toutes ces disciplines ont eu leur origine dans la philosophie (et géométrie et astronomie) et dans son invention de la définition et qu’elles n’ont pu gagner leur autonomie par rapport aux questions métaphysiques que par la coupure établie par Kant entre philosophies et sciences : peut-on récupérer cette dimension philosophique des sciences une fois que cette coupure ait réussi son objectif et manifeste maintenant, comme son effet crépusculaire, ce scandale des savoirs émiettés ? Et comment procéder ? Il faudra recourir à la philosophie qui s’est donnée au XXe siècle comme sa question l’articulation des « sciences européennes » en crise (Husserl), à travers toutefois ses disciples dissidents, Heidegger et Derrida, qui ont placé la ‘différence’ avant la ‘substance’ et ont ainsi rendu possible de penser une systématisation ayant l’indétermination dans son cœur.
3. C’est ainsi qu’il est arrivé, à la lente expérience de l’écriture qui cherche, que le motif de double lien (double bind) s’est révélé adéquat à l’explication phénoménologique – alliance de la philosophie avec sciences – du mouvement de tout ce qui se meut, de tout ce qui change, soit machine, soit vivant, soit structure sociale ou textuelle, pour approcher les énigmes de l’évolution, de l’histoire et de l’invention. Quel étonnement ! on rencontrait une réplique moderne inattendue de ce qui avait été l’antique Physique d’Aristote, une philosophie de l’être en mouvement (d’où il a dérivé une métaphysique de l’être en tant qu’être) qui est devenue caduque par le progrès des sciences européennes, qui sont nées d’elle et avec qui elles ont rompu après une longévité d’une vingtaine de siècles. C’est vrai que ‘mouvement’ et ses équivalents dans d’autres langues actuelles n’accueillent pas facilement le sens de ‘croissance’ (d’une plante ou d’un animal) ou de ‘changement’ (de qualité : une matière qui change de ‘forme’, une trans-forma-tion), comme le faisait le kinêsis grec ; n’empêche qu’il semble ne pas avoir eu, hors de la Physique d’Aristote (ni peut-être de l’aristotélisme médiéval, plus métaphysicien que physicien), aucune philosophie qui ait pris la question du mouvement des vivants comme sa question centrale, dans la modernité qui à partir de Descartes et de Galilée a réduit le mouvement au déplacement dans l’extension, dans l’espace (une bonne Encyclopédie comme l’Universalis, dans les années 74, n’avait pas d’entrée pour ‘mouvement’, renvoyant à la Cinématique, c’est à dire, à la Physique de Newton).
4. Toutefois, l’analyse de ces mouvements a rencontré une difficulté, voire une aporie. L’invention de la vie, de la cellule, a été celle d’un assemblage de molécules rassemblées à partir d’une mer de molécules équivalentes, une nouvelle unité capable de se reproduire au-dedans de cette mer de molécules, qui peuvent autant la nourrir que la détruire. C’est dire que la cellule est une structure d’auto-reproduction, une structure conservatrice qui n’annonce aucune évolution, bien au contraire : l’invention de la cellule est la négation de l’évolution à venir. De même, une espèce évoluée, dont l’endogamie la défends de l’introduction de gènes susceptibles de changer la structure de l’espèce, qui est donc aussi conservatrice : que les divers organes et tissus spécialisés fonctionnent comme il faut pour garantir l’auto-reproduction de l’individu et ne commencent pas d’innover, de cancérigener. Ou bien encore les sociétés tribales que Lévi-Strauss a étudié, sont, dit-il, « froides » de résister au changement, « contre l’État », a renchérit P. Clastres, ce qui n’annonce aucune histoire de sociétés complexes ; chez celles-ci, maisons, familles, institutions, sont également des structures d’auto-reproduction quotidienne qui exigent de ces membres qu’ils se conforment aux usages établis selon une routine disciplinée et ne se mettent à inventer des comportements surréalistes, chacun à faire à sa tête. Comment donc conservation structurale et innovation sont logiquement compatibles, voici la question, qui demandera une nouvelle alliance entre philosophie et sciences (Prigogine et Stenghers), une phénoménologie où les sciences actuelles reprennent la dimension philosophique qu’elles avaient avant la coupure kantienne.

quinta-feira, 1 de agosto de 2013

La Politique et la Vie. Une question à R. Esposito



           1. N’étant pas lecteur habituel de philosophie politique, je viens de lire avec beaucoup de profit le livre de Roberto Esposito, Bios. Biopolítica e Filosofia. J’ai été sensible notamment à son diagnostique critique de la démarche de M. Foucault, dont il se réclame comme l’initiateur de la problématique, de l’extériorité qu’il garde entre les deux termes, vie et politique. Esposito joue sur le motif de l’immunité dans son opposition à celui de communauté par le biais du commun munus – les charges publiques à Rome concernant des donations à la plèbe – pour illustrer le rapport de la biopolitique à la modernité, suite au pouvoir souverain des siècles classiques qu’elle remplace ou complète. J’ai été sensible aussi toutefois à l’insuffisance du motif corps dans son texte et c’est ce qui me amène ici, non point à une critique (je n’ai lu que ce livre de l’auteur), mais à une question qui pourrait lui rendre service, devenir féconde chez lui.
2. Au motif ontothéologique de corps, j’opposerais le motif  heideggérien d’être au monde, du Dasein que Sein und Zeit § 10 dissocie exprès de ceux de ‘sujet’, ‘âme’, conscience’, ‘esprit’, ‘personne’, ‘homme’, ‘vie’, termes à éviter, ce dernier pouvant sans doute renvoyer à ‘corps’, si l’on pense au rapport de ce terme à ‘âme’ dans le système conceptuel occidental. On peut, me semble-t-il, comprendre l’extériorité du Dasein, son être au monde (sans fenêtres, dira-t-il bien plus tard, Questions IV), comme impliquant la ‘construction’ de son intériorité à partir de ce même monde, de ses usages appris, autant de leurs outils que du langage qui les dit en des recettes. J’y reviendrais, mais poserai-je tout de suite que l’absence de ce motif d’apprentissage (et de nourriture, venant aussi de l’extérieur, au niveau biologique) est un symptôme net du rapport du discours philosophique à l’ontothéologie issue de l’invention de la définition par Socrate, Platon et Aristote, avec laquelle Heidegger a essayé de rompre. Si j’ai bien compris, la définition est un mécanisme d’immunité qui défend les textes gnoséologiques de la polysémie de la langue des récits et des poèmes: s’il faut bien être d’accord avec Esposito quand il dit que Heidegger est le philosophe le plus important du XXe siècle, c’est sans doute par cet essai de rupture d’avec la définition, comme déjà Nietzsche, sans pour autant quitter le terrain philosophique.
3. Esposito a été sensible à cette inadéquation du corps à sa problématique, il le quitte pour le motif de chair de Merleau-Ponty sans que j’en aie bien compris toute la portée du déplacement. Mais puisqu’il passe par le motif biblique de basar / sarx, j’en profite pour dire que, comme tout le monde, exégètes, théologiens et philosophes, il approche l’anthropologie hébraïque avec le regard grec que Origène d’Alexandrie, à la suite de Philon, nous a donné. La chair biblique va sans doute au ‘monde’, comme le prétend Merleau-Ponty, mais au monde parental au-dedans de la tribu : Adam quitte son père et sa mère pour s’unir à Eve et devenir une seule chair (Genèse 2,24), laquelle est le lieu de l’interdit de l’inceste (Lévitique, chap. 18). Il y a dans une tribu pluralité de chairs, de familles, qui s’échangent les femmes entre elles. Le motif de la chair est très proche de celui de naissance, que l’auteur prend plus loin à H. Arendt et qui devrait être suivi par celui de l’apprentissage, motif social, en prolongement de celui de nourriture, motif biologique. Commençons par celui-ci, en retenant une citation très belle de Nietzsche in La gaia scienza: “dans la nature il n’existe pas l’extrême angoisse de dominer mais la surabondance, la prodigalité menée jusqu’à l’absurdité”. Chez les plantes, cette prodigalité est exubérante en branches et feuilles, fleurs, fruits et semences reproduits à plus de 99,99% de perte à fin qu’une seule puisse devenir une nouvelle plante. À cette prodigalité, il faut ajouter que cette semence toute petite deviendra grande, plante ou animal, au bout d’un processus de croissance plus ou moins long, ‘du moins sort le plus’, ce qui n’est logiquement possible que parce que c’est toujours du dehors, de la scène écologique, du monde ou de la chair, qui chez les animaux viennent les molécules d’autres vivants mangés qui deviendront leurs molécules à eux. Ce qui caractérise la vie, c’est la fécondité où l’extérieur donne l’intérieur, première fois.
4. Cette logique revient avec l’apprentissage, par lequel l’ ‘infans’, sans parole ni action, deviendra être au monde tribal, passif ou réceptif à ce qu’il ne sait pas avant, actif quand il saura répéter ce qu’il a appris, et le saura spontanément selon son habileté à lui. C’est que ses envies (chimie hormonale) chaotiques sont dressées par la logique des gestes appris, ce sont ces envies domestiquées par les recettes des usages que l’habileté manifeste. Un ignorant qui devient capable d’habileté selon les règles de sa communauté, qui change donc, qui changera toute sa vie indéfiniment car il ne cessera d’apprendre avec l’expérience, à nouveau il s’agit de fécondité. Or, cette habileté comme souci de la vie quotidienne, c’est bien l’extérieur qui donne l’intérieur, deuxième fois, le Dasein heideggerien donné par la communauté de son commun.
5. Cette donation – la fécondité de la phusis – est dissimulée, expliquera le II Heidegger, les philosophes n’ont pas su la repérer, malgré Héraclite (§ 123). Pour quoi faut-il la dissimulation? D’une part, parce que la donation est une puissance, trop forte devant ce qui est petit, elle ne peut se faire qu’au compte-gouttes, petit à petit, à la mesure de celui qui mange, de celui qui apprend. Les mères, les professeurs, savent que leur immense savoir ne peut passer à leurs enfants, à leurs élèves, que peu à peu. Mais aussi et surtout, venue de l’extérieur la donation doit se retirer à fin que soit l’autonomie de l’étant vivant, être au monde. C’est la temporalité que nous a donné Heidegger, malgré que son Dasein n’aie probablement pas su lâcher totalement le ‘sujet’ de départ phénoménologique, ‘mortel’ jamais dit un ‘vivant’ (ironie quelque part de Derrida).
6. Il me semble que c’est ce double phénomène de croissance, biologique et culturelle, qui a été au cœur du questionnement d’Aristote, de son motif de la phusis, qu’il a toutefois opposé à la technique, en tant que celle-ci est mue par un autre, tandis que la phusis serait ce qui grandit par soi-même (méconnaissance ontothéologique, que les biologistes continuent de partager ‘autopoïétiquement’). Or, on peut montrer comment ce double – l’extérieur qui donne l’intérieur – est ‘un’: un enfant d’humains qui n’apprendrait rien ne serait pas humain, le vivant qui a du discours, mais pas animal non plus (pareil pour les mammifères, oiseaux, etc., mutatis mutandis). Si l’on accepte la proposition des “graphes” de J.-P. Changeux dans L’homme neuronal, il faudra comprendre que ce que l’on apprend se graphe, s’inscrit, dans les synapses du cerveau lequel, organe de régulation du système de nutrition par l’homéostasie du sang qui va à chaque cellule, est aussi celui qui joue dans le système de la mobilité, entre les organes de la sensibilité au monde et les muscles, qui mène vers l’action: c’est dire que le cerveau est simultanément un organe biologique et social. Voici ce qui pourrait avoir un rôle à jouer en biopolitique.
7. Dans les sociétés à maisons, celles qui ont prévalu jusqu’au XVIIIe siècle, et bien au-delà hors de l’Angleterre et des pays qui l’ont suivie, cette double croissance se faisait au-dedans de maisons autarciques, bien tenues les envies individuelles par l’interdit de l’inceste à l’intérieur et de l’adultère à l’extérieur. Le pouvoir ne concernait que les pères des maisons, la terre cultivée et les troupeaux leur ‘donnant’ de quoi se nourrir et de leurs ancêtres ayant appris les usages respectifs. Il faudra souligner que, si la nourriture suppose beaucoup de travail, par contre l’apprentissage en tant que tel est un phénomène gratuit qui dépend de la curiosité : quoi qu’il en soit des frais scolaires et culturels dans nos sociétés, ce que l’on apprend et comment on le comprend – bien, mal, à peu près, de travers – n’est pas susceptible de l’intervention directe du pouvoir du maître, même un gosse à l’aventure dans les rues apprend beaucoup de choses qui l’intéressent.
8. Les questions biopolitiques ont dû se poser donc dans les métropoles cosmopolitiques, dont l’exemple du munus romain, ou bien du “pain et cirque” pour la plèbe. Esposito part de Hobbes qui a posé la question classique du pouvoir en Europe, à un moment de charnière historique, celui de la guerre civile religieuse anglaise et du régicide, moment donc où il a fallu passer de la couverture religieuse du pouvoir (quand la fécondité était la source de la richesse) à celle d’un pouvoir civil: un souverain face à ses sujets comme auparavant les âmes face à Dieu. Le com- de la communauté des maisons cède, semble-t-il, au com- du contrat (social) entre deux pères de maison qui mettent ensemble une partie de leurs avoirs à fin qu’à deux il y ait plus de richesse pour chacun. Il semble que l’on puisse synthétiser ainsi : pour que notre ‘affaire’ à deux (ou plus) puisse se faire sans intervention d’aucun pouvoir, religieux ou politique, il faut que le pouvoir civil puisse garantir la sécurité, l’ordre dont il a besoin et qu’il ne peut trouver de soi-même, puisqu’il doit s’adresser au marché, à beaucoup de monde, de façon a priori illimitée. Ce qui se signale est donc le changement du régime de la richesse, non plus celle des moissons, vendanges et troupeaux comme auparavant (la ‘bénédiction’ venant de Dieu), mais produite par une industrie humaine, entre des villes qui se lient par des marchés.
9. Qu’est-ce qui change ensuite pour qu’au XIXe siècle Foucault puisse repérer la biopolitique en train de se mettre en place? L’invention de la machine à vapeur qui, avec le pétrole et surtout l’électricité plus tard, changera le régime énergique des sociétés qui cesse d’être surtout biologique (animaux de trait, humains) pour devenir surtout thermique et donc mécanique, la fécondité remplacée par la productivité. Ce qui aura une conséquence biopolitique unique, les maisons sont cassées dans leur double dimension: l’activité économique sera le fait d’institutions de travail pendant quelques heures par jour et congé au dimanche, tandis que la parenté, les familles du couple et ses enfants, se loge dans des appartements d’immeubles. Cette cassure donnera lieu à une libération inédite de formes de vie dans les villes où habitent les familles, les enfants et les femmes que jusque-là ne concernaient que les respectifs pères de maison: la prodigalité de la nature que les usines des banlieues ignorent maintenant, sauf pour les questions de discipline et syndicales, se manifeste notamment avec des nouvelles questions de scolarité (le savoir a cessé d’être interne à l’autarcie des maisons), de santé, arts et spectacles, divertissements et jeux sportifs, livres et journaux, discussions politiques, etc. Et aussi les affects chez les jeunes, toute une littérature, surtout religieuse mais laïque parfois, s’adresse aux garçons, aux filles, aux fiancés, pour sécuriser les familles, parer aux idées dangereuses pour les garçons, aux fantasias des romans et feuilletons que les filles lisent. Les villes gagneront une effervescence cosmopolite de vie (moderne).
10. La vie, donc, le secret des vivants, est la fécondité et les sociétés des humains ne peuvent que tâcher de maîtriser cette donation pour éviter de sombrer dans sa prodigalité agressive : c’est le rôle de la loi, de la politique. Je suis bien incapable d’approcher la problématique de la biopolitique par mon travail en philosophie avec sciences : la réduction husserlienne et la donation dissimulée heideggérienne sont venues à nouer les doubles liens phénoménologiques qui rendent possibles et les jeux des animaux sous la loi de la jungle et les enjeux des tribus sous celle de la guerre, les doubles liens de ce que j’ai appelé des mécanismes d’autonomie à hétéronomie effacée (voir le Manifeste du blogue ‘philo.avec.sciences’). J’ai cru toutefois appercevoir, ici et là, dans l’argumentation de Roberto Esposito sur l’immunité une approche de la ‘stricture’ derridienne qui, chez moi, gagne la place d’un moteur énergétique inhibé, donc aveugle ; aussi, son dernier chapitre essaie de dépasser la détermination cause / effet que la pensée occidentale fait régir les rapports entre des ‘substances’, peut-être pourraient ces tentatives aller jusqu’à comprendre le motif de l’appareil de régulation qui donne direction ou sens au mouvement aveugle du moteur, selon les possibilités de circulation qui se présentent, à chaque animal dans la jungle, à chaque humain dans son unité sociale, à celle-ci dans sa tribu, à chacun qui discute avec un autre ou écrit un texte. Toujours le rôle des règles que les sciences respectives retrouvent dans leurs laboratoires est celui de régler l’aléatoire des diverses circulations, comme une voiture conçue pour l’aléatoire du trafic sur les routes. Cela pourrait intéresser les analyses concernant les biopolitiques. 

sexta-feira, 10 de maio de 2013

la ‘théorie de tout’ (lettre à J. B. Callicott)



Bonjour, heureux anniversaire, happy birthday to you !

J’espère que vous soyez capable de lire en français, car moi-même je suis nul en anglais.
Je viens de lire votre texte « The Science as natural philosophy » dans un volume portugais de 2004 (Cristina Beckert (org.), Éticas e Políticas ambientais) et j’ai eu beaucoup d’estime pour votre courage. Signalé notamment dans votre conviction que ‘au début du XXIe  siècle, notre équivalent à Descartes et à Newton ira reconstruire, dans la science, un nouveau paradigme post-moderne, convaincant et solide, la ‘théorie de tout’ si souhaitée’ ; cela m’a beaucoup touché car, par un chemin divergent du vôtre puisque ‘continental’, je suis arrivé fort surpris au bout d’une vingtaine d’années à quelque chose de pareil, car ce n’était pas mon but explicite.

Quelques différences donc.
1)    Il ne faut pas ‘un’ penseur seul, mais plusieurs, autant philosophes que scientifiques, soit les trois grands phénoménologues, Husserl, Heidegger, Derrida, et les principales découvertes scientifiques du XXe  siècle : théorie de l’atome et de la molécule, biologie moléculaire et neuronale, double articulation du langage (Saussure, Martinet), inceste et exogamie (Lévi-Strauss), théorie des pulsions de Freud. 4 de ces découvertes répondent des 4 grandes scènes historiques que les sciences nous ont révélées : du cosmos (tout ce qui a noyau atomique), écologique (avec ADN), sociétés humaines (unités locales avec discipline concernant la sexualité), savoir occidental (alphabet, définition) ; entre parenthèses, ce qui de chaque ‘chose’ est inhibé dans la scène comme condition d’y circuler. Il a suffi d’un type moyen qui a eu la chance de mettre des géants en rapport entre eux.
2)    Le tournant de la phénoménologie : les différences avant les substances (Heidegger, Derrida). Reformulée, elle est ‘appliquée’ aux découvertes des sciences, celles-ci reprennent leur dimension philosophique que Kant avait suspendu (votre ‘philosophie naturelle’) ; c’est donc philosophie avec sciences (et pas ph ‘des’ sc), les sciences font aussi partie de la philosophie. C’est la scène qui donne ses choses, la force de son hétéronomie en retrait leur laisse autonomie. Mais la physique, avec ses champs de forces attractives, y cède sa place prépondérante à la biologie, elle devient une sorte de post-scriptum, décrite ‘après’ les autres, ce qui va dans la bonne direction de l’écologie, de l’éthique de la Terre.
3)    La Physique d’Aristote (l’étant en mouvement) a été la seule philosophie avec sciences qu’il y eût en Occident jusqu’ici. Rendue possible par l’invention de la définition (Socrate et Platon), appliquée par lui à la phusis. Elle devrait être remplacée par cette phénoménologie scientifique, si elle est acceptée, ce qui n’est pas du tout sûr, cela va de soi.
4)    L’autre moment décisif de l’histoire de la pensée occidentale, suite à celle de la définition, a été l’invention du laboratoire scientifique qui a ajouté à la définition des expériences de mouvement mesurées. Équations théoriques dont les variables sont les mesures des résultats expérimentaux, là est le cœur de la physique, quoi qu’il en soit des interprétations des physiciens (changeantes) : c’est par là qu’elle a rendu possible la technique qui ‘applique’ ces équations. Mais il faut ajouter que c’est cela qui a rendu possible la trouvaille phénoménologique des différences (les mesures, dans le cas) avant les choses mesurées, réduites par la mathématique.
5)    Le troisième moment, l’invention de la machine (puis de l’électricité), donc de l’industrie. La machine (notre voiture) a une anatomie semblable à celle des vivants, mutatis mutandis, qui n’a pas changé depuis Watt.
6)    Je dois dire que je ne crois pas au ‘post’ : la mécanique de Newton, avec ses équations, continue valable dans de nombreux domaines des ingénieurs, les équations de Einstein valent pour des vitesses proches de la lumière, les quantiques pour les dimensions des particules des grands accélérateurs. En en tenant compte, on retrouve les équations de Newton et de ses laboratoires ‘terrestres’ (mais j’ai beaucoup aimé vos considérations finales sur la technologie).
7)    Ce que je propose est systématique mais chaque ‘chose’ est indéterminée, à partir des inertes (roche et érosion, fer et oxydation) et gagnant de l’autonomie avec la complexité jusqu’aux énigmes des oiseaux, mammifères et des humains.
8)    Pour arriver à ceci, il a fallu faire un pas au-delà de Kuhn et pénétrer dans les paradigmes théoriques pour y déceler un obstacle philosophique, le dualisme sujet / objet, et en refaire la description théorique de ‘l’anatomie’ des choses dans chaque scène, en conséquence. On ne peut pas se fier aux seuls savants de laboratoire, tout ignorants que nous sommes de ce qui s’y déroule, car eux, ils ne savent pas qu'ils dépendent de la philosophie ‘moderne’, européenne, que le lycée nous a donné à tous avant que nous sachions nous défendre, ce que Althusser appelait « la philosophie spontanée des savants ».
9)    Je suis pour l’écologie, comme tout le monde, mais n’en connais pas assez pour lier mon travail à ces questions si graves et urgentes.

Voici. Si vous lisez donc en français, j’ai deux blogues où je m’explique un peu et où sont cités les deux livres concernant cette découverte.
Bonnes choses
F. Belo