L’ÉCONOMIE POLITIQUE À VENIR
EN TANT QUE SCIENCE THÉRAPEUTIQUE
Fernando Belo
Les ‘lois économiques’ dépendent des contextes sociaux
Science sociale ou science de la société ?
La loi de la jungle et la loi de la guerre
Le commerce global contre la guerre globale
“Le capitalisme prospère; la société se dégrade”
La monnaie et la réduction scientifique en économie…
…cachent la politique au dedans des choix économiques
L’aveuglement structural d’une science sociale qui se prend pour science de la société
La tâche de l’économie politique : maîtriser la loi de la guerre des capitaux
1. Toutes les sciences occidentales dignes de ce nom ont été instituées à partir (en plus de la géométrie) de la matrice philosophique héritée par l’Europe de la Grèce et des universités médiévales, matrice avec laquelle il leur a fallu rompre comme condition de leur autonomie scientifique, autant théorique que méthodologique et expérimentale. Ce fut Kant qui a théorisé philosophiquement cette rupture et a accordé l’autonomie aux sciences qui se sont bruyamment instituées dans les universités européennes du 19e siècle. Mais ne pouvant rendre compte des motifs théoriques et pratiques acquis à partir de cette rupture, ne pouvant se justifier épistémologiquement, les sciences gardent de leur naissance une sorte d’ombilic philosophique que leur développement historique réélaborera à l’insu de leurs scientifiques. C’est vrai des sciences de la matière et de l’énergie, les premières à rompre dès Galilée et Newton, des sciences des vivants, des sociétés, de l’économie en tant que science sociale. C’est cet ombilic inaccessible aux économistes qui m’intéressera ici, moi qui n’en suis point : je l’aborderai à partir de ce que j’appellerai philosophie avec sciences ou phénoménologie reformulée, sans pouvoir en détailler les présupposés. J’espère toutefois que mon propos soit compréhensible.
Les ‘lois économiques’ dépendent des contextes sociaux
2. Je commencerai par la citation de deux économistes, dont la compétence relève d’économies extérieures à l’espace euro-américain. D’abord, le Japonais Taichi Sakaiya, économiste qui a travaillé dans le célèbre Ministère du Commerce et Industrie Internationaux (MITI), où il fût le responsable de deux Expositions (Osaka 1970, Okinawa 1975). “L’expérience du Japon moderne, surtout après la guerre, est pleine d’exceptions à ce qui, au niveau mondial, est considéré comme un corpus de lois économiques. Par exemple, le Japon a réussi une croissance économique rapide en même temps que les différentiels des rendements diminuaient de façon considérable. Les entreprises ont grandi et leurs employés sont devenus plus loyaux envers elles. L’éventail salarial réduit et le système d’emploi à vie n’ont pas fait diminuer la compétition pour la promotion dans les entreprises. Bien que les différences entre les rendements et les positions basées sur des diplômes académiques plus élevés soient moindres que dans n’importe quel autre pays, la compétition dans les tests et les examens est intense. Quand les niveaux de rendement augmentent, les travailleurs ne ralentissent pas le rythme du travail. L’urbanisation croissante est suivie d’une diminution des taux de criminalité. Une transition vers le secteur des services dans l’activité économique ne produit pas une augmentation de l’économie souterraine”[1]. Ce qui implique que ce ‘corpus de lois économiques’ change selon les différences anthropologiques (historiques ou sociologiques), ce que l’auteur illustre en suivant le parcours historique du Japon.
3. À une conclusion semblable – l’altération des ‘lois économiques’ selon les contextes - arrive l’économiste français Jacques Sapir, qui a accompagné sur place depuis les années 80 l’économie soviétique d’abord et russe ensuite, en enseignant la science économique à Moscou. C’est sa compétence exceptionnelle sur “l’échec répété des politiques inspirées, ou suggérées, par les organisations internationales et ceux de ses collègues qui jouissent de la plus flatteuse réputation dans la profession” (p. 9) qui rend précieuse la citation suivante, en conclusion de la discussion qu’il a mené sur “quatre des principaux paradigmes de l’action économique contemporaine [qui] nous laisse percevoir le champ de ruines qui est devenue la pensée économique dominante. [...] 1. Les avantages et désavantages d’un accroissement de la concurrence, de la décentralisation, de la flexibilité ou d’un renforcement de la propriété privée [ce sont les quatre paradigmes en question], sont contingents aux contextes institutionnels, structurels et techniques dans lesquels ces décisions doivent être prises. Ces contextes sont eux-mêmes affectés par de telles décisions. Il ne peut donc y avoir aucune règle générale, mais une analyse au coup par coup, et la contribution des économistes peut résider dans une analyse concrète de situations concrètes. 2. L’économie, en tant que discipline scientifique, ne peut fonder dans sa totalité une telle décision, quel qu’en soit le sens. Il y a une part irréductible de choix social et éthique qui implique que la décision ne soit pas l’œuvre de techniciens, juristes, mais qu’elle engage la représentation politique de la communauté concernée”[2].
Science sociale ou science de la société ?
4. C’est que l’économie n’est pas une ‘science de la société’ dans sa globalité, elle n’est qu’une ‘science sociale’, à l’instar de la linguistique, du droit ou de la démographie, voire de la médicine, une science qui porte sur certaines structures des sociétés contemporaines, tandis que la science qui devrait rendre compte de la globalité des structures de ces sociétés, la sociologie, en est manifestement incapable : elle semble se limiter à certains champs – sociologie de l’éducation, de la famille, de la culture, des médias, de la religion -, comme une ‘science sociale’ parmi les autres, s’avouant implicitement incapable d’atteindre la façon fort complexe dont ces diverses structures s’impliquent les unes les autres, dont quelques unes (la langue, école et médias, l’organisation politique et le marché) traversent toutes les autres. Ma proposition ici c’est que, de même que, du temps de l’organisation moderne des États nations, le droit a joué le rôle indispensable de ‘science de la société’ globale, de même l’économie aujourd’hui, en ces temps de globalisation des marchés, supplée une sociologie qui est impuissante à tenir ce rôle qui, en théorie, devrait lui revenir. Et puisqu’on sera facilement d’accord qu’il faut bien que ce rôle soit rempli par l’économie tant que la sociologie n’en soit pas à la hauteur, la question qu’il faut poser est celle des choix qu’elle aura à faire, étant donnée, comme disait Sapir, « la part irréductible de choix social et éthique qui implique que la décision ne soit pas l’œuvre de techniciens, juristes », les techniciens ici en question étant clairement les économistes. Ces choix, dans la mesure où ils relèvent d’approches scientifiques, devraient être d’abord l’objet des recherches de la sociologie, c’est à elle que les politiciens, les activistes et les citoyens devraient demander des lumières. Mais aussi les économistes : quelles statistiques tenir en compte, de quelles dimensions des sociétés faut-il tenir compte, que faut-il préserver d’emblée du social ?
La loi de la jungle et la loi de la guerre
5. Pour saisir ce qui pose en effet problème dans la globalisation des marchés et des technologies, médias y compris, il faut faire un petit détour par l’histoire. Des vivants d’abord, dont l’évolution a été dominée par la loi de la jungle, liée à des raisons biochimiques assez précises : ce que l’on doit appeler le ‘cycle de reproduction des molécules à carbone’, qui sont partie structurelle de toutes les molécules des cellules (sauf de l’eau), implique que les plantes aillent cueillir ces molécules à carbone à l’atmosphère par la photosynthèse, les herbivores chez les plantes et les carnivores chez les herbivores. Les espèces mieux évoluées, les arthropodes (parmi les invertébrées), les oiseaux et les mammifères, ont abouti à des endogamies strictes pour défendre ce qui les rend différentes de celles qui leur sont plus proches, c’est-à-dire essentiellement le système neuronal qui articule autour du cerveau leurs organes de perception et de locomotion, et pour la préhension de proies et pour à leur tour se défendre de prédateurs. C’est pourquoi nous autres, les humains, nous avons hérité les muscles et les cerveaux d’espèces habiles à devoir se débrouiller sous la violence de loi de la jungle. Si l’invention de l’agriculture et de l’élevage a représenté la maîtrise par les sociétés humaines de la loi de la jungle, celle-ci s’était déjà déplacée vers une autre sorte de loi, la loi de la guerre entre elles, sociétés, P. Clastres ayant montré l’existence d’une frontière au-dedans de laquelle on échangeait des femmes et des cadeaux, au-dehors de laquelle on se guerroyait. Ici, l’explication passerait par un facteur qu’on dirait anthropo-chimique, des envies à base hormonale qui, d’une part, demandent des lois morales pour les modérer ‘ad intra’, à commencer par l’interdit de l’inceste, et d’autre part, poussent à la guerre ‘ad extra’. De façon très générale, il s’agit de l’envie de faire comme les autres, qui est essentielle à la dynamique de toute sorte d’apprentissage mais devient aisément envie d’être envié par les autres comme le plus fort. Or, l’agriculture et l’élevage, tout en maîtrisant la loi de la jungle, ont aussi rendu possible l’accumulation de richesses non périssables qui ont fait changer la nature de la guerre, la faire devenir guerre de conquête - de butins, d’esclaves, de sociétés réduites à la vassalité -, les castes nobles étant partout celle des guerriers.
Le commerce global contre la guerre globale
6. Le livre remarquable du socialiste non-marxiste Karl Polanyi, La Grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, écrit en 1944 (Gallimard, 1983), après ses premiers mots - “La Paix de cent ans. La civilisation du XIXe siècle s’est effondrée” (p. 21) - poursuit un peu plus loin : “au XIXe siècle s’est produit un phénomène sans précédent dans les annales de la civilisation occidentale : les cent années de paix de 1815 à 1914. Mis à part la guerre de Crimée - événement plus ou moins colonial -, l’Angleterre, la France, la Prusse, l’Italie et la Russie ne se sont fait la guerre les unes aux autres que dix-huit mois au total” (p. 23), malgré l’énormité de conflits ‘locaux’ qui ont jalonné le siècle[3]. Et voici son diagnostique : “le commerce était maintenant lié à la paix. Dans le passé, l’organisation du marché avait été militaire et guerrière. C’était un auxiliaire du pirate, du corsaire, de la caravane armée, [...] des marchands porteurs de l’épée, de la bourgeoisie urbaine en armes, des aventuriers et des explorateurs, des planteurs et des conquistadores, des chasseurs d’hommes et des trafiquants d’esclaves, et des armées coloniales des compagnies à charte. Tout cela était désormais oublié. Le commerce dépendait dorénavant d’un système monétaire international qui ne pouvait fonctionner lors d’une guerre générale. Il exigeait la paix, et les Grandes Puissances s’efforçaient de la maintenir” (p. 36). Il écrivait ceci à chaud : la première globalisation, après une centaine d’années de paix, venait de subir pendant 30 ans une implosion inénarrable, c’est que son livre tâche d’expliquer. Sa thèse est la suivante : le marché autorégulateur (promu par le libéralisme anglais) a été la cause des deux grandes guerres. Et la pointe de son argumentation : ‘marchandise’ étant empiriquement définie comme objet produit pour être vendu sur le marché et ‘marché’ comme les contacts effectifs entre vendeurs et acheteurs, il en résulte en pratique qu’il doit avoir des marchés pour tous les éléments concernant l’industrie ; ce postulat, dit Polanyi, est faux pour ce qui est de la force de travail, de la terre et de la monnaie, car aucun n’a été produit pour être vendu, aucun n’est donc ‘marchandise’. Ils doivent tous trois être préservés du statut marchand que le libéralisme leur a étendu.
“Le capitalisme prospère; la société se dégrade”
7. Ce n’est pas le lieu ici (ni aurais-je la compétence) de discuter cette thèse, elle peut toutefois nous servir d’indicateur sur ce point essentiel de notre actualité : le libéralisme outrancier, revenu depuis une trentaine d’années, court le risque de détruire les structures de la société globale elle-même. Car “le capitalisme prospère; la société se dégrade”, constatent dans une formule lapidaire Luc Boltanski et Ève Chiapello[4]. C’est-à-dire que d’autres formes d’implosion peuvent se profiler à l’horizon. Toutefois, il semble que, malgré la fréquence des conflits locaux, les 60 années de paix globale depuis 1945 sont à compter comme la reprise de celle qui a duré pendant tout un siècle, le XIXe. S’est-on pour autant délivrés de la loi de la guerre ? Bien sûr que non : tandis que l’on poursuit la recherche de sa maîtrise par les institutions et traités de droit international, elle s’est tout simplement déplacée ailleurs, sans cesser son jeu de toujours partout où rivalités et jalousies se manifestent, c’est-à-dire partout où il y a des humains : en plus des conflits locaux et régionaux, elle est fort visible, par exemple, dans l’organisation spectaculaire des sports, autant dans l’âpre compétition des athlètes que dans les passions de leurs supporters. Et, d’autre part, celle qui nous intéresse ici, elle joue un rôle primordial en économie qui est, dans le domaine financier, de plus en plus sous la dépendance d’une vraie guerre des capitaux. Il n’y aura peut-être que des économistes pour ne s’en rendre compte (par des raisons idéologiques de métier), car il est évident à tout observateur honnête, c’est-à-dire dont le but de la vie n’est pas de s’enrichir, il est évident que la logique profonde de l’économie mondiale depuis une trentaine d’années est celle d’une guerre de chiffres, cherchant des chiffres de plus en plus grands. Des chiffres qui deviennent astronomiques, donc abstraits : qu’ils soient plus grands que ceux des autres concurrents. Certes, ces chiffres se traduisent en pouvoir d’acheter des unités sociales, à l’étranger notamment, des territoires à ‘conquérir’ à l’instar des guerres classiques, mais là encore ce n’est que pour l’augmentation des chiffres. Voici le moment d’essayer d’approcher le cœur de la science économique.
La monnaie et la réduction scientifique en économie…
8. Par où approcher l’économie de façon ‘phénoménologique’ ? Disons que les économistes ne font rien pour nous faciliter la tâche. Dans un très beau texte de 1969, Numismatiques, une sorte de théorie philosophico-lacanienne des monnaies[5], J.-J. Goux aborde l’économie par la théorie de la monnaie et de la marchandise du Capital de Marx. Le point décisif, c’est que le rôle de tout équivalent général de circulation de marchandises, l’or à l’époque, implique qu’il soit exclu, retiré, de son statut de marchandise pour devenir – sous forme de monnaie – susceptible d’être échangé avec n’importe laquelle marchandise, selon des prix pour chacune exprimés en valeur monétaire. Pour les établir, il faut, certes, faire le compte de ses divers coûts de production, mais, une fois que c’est fait, le produit devient marchandise le temps de sa circulation dans le marché, sa valeur d’usage étant réduite, ignorée, en tant que condition structurelle de l’échange lui-même, du marché, et donc aussi de l’économie en tant que science. Celle-ci joue avec des chiffres statistiques : des prix et des quantités de marchandises, des salaires et des ventes, des coûts et des profits. Cette réduction est l’opération proprement scientifique de l’économie, de même que la commutation en linguistique structurale ou les mesures de distance, temps, poids, température, etc., en physique. Elle rend possible la constitution d’archives statistiques comme laboratoire scientifique de l’économie, à part de la scène elle-même du marché et de son aléatoire indéfini, elle rend possible d’instituer des ‘phénomènes économiques’, au sens de susceptibles ‘d’expérimentation scientifique’ : ils sont nécessairement des fragments (de laboratoire) que la théorie - qui organise l’expérimentation - doit rassembler, unifier, afin de pouvoir ensuite généraliser. En effet tout laboratoire scientifique réduit, par définition, par structure : la commutation linguistique réduit le ‘sens’ des unités linguistiques analysées pour en constituer les paradigmes, de même que le physicien réduit la ‘qualité’ des phénomènes, pour ne retenir que les dimensions requises par l’expérimentation. C’est-à-dire qu’il y a un ‘aveuglement’ de cette réduction qui est la rançon de la scientificité gagnée, un aveuglement sur la scène de ladite réalité, sur la singularité de ses jeux incessants, leurs indéterminations. C’est cet aveuglement des laboratoires des ingénieurs qui explique, par exemple, qu’il y ait des effets de pollution de leurs machines, ce sont des effets que le laboratoire a dû réduire, laissé en dehors du laboratoire. Quand telle théorie économique a comme but comprendre, voire ‘prédire’, tels agencements macro-économiques, ce ne peut être ni des ‘prédictions’ de comment agira tel ou tel agent économique, ni non plus des incidences de ces agencements sur des facteurs sociaux autres que ceux retenus par la réduction scientifique. Ainsi, si telle politique économique peut prévoir les limites d’augmentation du chômage qui en sera la conséquence, elle ne peut pas savoir d’elle-même, par exemple, s’il aboutira à une explosion sociale, ou quoi qu’il en soit d’autre qui puisse toutefois remettre en question l’assise de la production économique que cette politique envisageait de réguler.
…cachent la politique au dedans des choix économiques
9. Or, ce qui fait problème, c’est que c’est cette réduction de tout ce qui n’est pas marché par la monnaie – l’opération scientifique propre à l’économie - qui justifie, me semble-t-il, le tournant monétariste des années 70 vers le libéralisme dont nous sommes en mesure de constater aujourd’hui l’effet néfaste sur les sociétés : la pauvreté (faim et épidémies avec) qui augmente autant dans le tiers monde que dans le premier. Contradiction de mon discours ? Au contraire, sa confirmation : l’économie n’est point une science de la société, elle n’est qu’une science sociale, celle qui concerne la structure sociale qui est le marché, et pour l’être elle doit réduire tout ce qui, dans les sociétés modernes, n’est pas susceptible de marché. Et c’est ainsi que le neo-libéralisme monétariste a évincé l’économie politique de Keynes, qui a rendu possible les fameuses Trente glorieuses de 47-73, l’a évincé avec des arguments proches des ‘évidences’ scientifiques que je viens de rappeler. Il me semble, en effet, que la monnaie s’y prête : le capital serait le seul facteur social à n’y être pas réduit, puisqu’il s’exprime en unités monétaires, à l’envers des travailleurs, réduits à leurs salaires en tant que coûts de production. Ce qui disparaît dans cette façon de faire les comptes en économie libérale, c’est ce que je crois être l’une des vérités cruciales de l’analyse marxiste : la distribution des plus values de la production industrielle, en plus donc de tous les coûts, y compris les financiers et les impôts, cette redistribution - entre l'ensemble des salaires de tous ceux qui travaillent dans l'entreprise et les profits du capital - reste essentiellement aléatoire[6]. Elle n'est pas susceptible d'une règle scientifique, d’un critère arithmétique intrinsèque, elle est toujours l'effet d'une appropriation. Sans doute elle n'est pas indépendante de la scène du marché et de son instabilité structurelle, en amont comme en aval. Et notamment en ceci que les salaires devront permettre la reproduction quotidienne des travailleurs et de leurs familles, qui d'habitude, par l'effet même de la révolution industrielle qui les a concentrés dans des grandes villes, n'ont plus des ressources agricoles et de bétail pour l'autoconsommation, doivent donc acheter tout ce dont ils ont besoin. Mais ces besoins, d'autre part, sont aussi aléatoires et n'ont pas de limites : de par le jeu disséminant de la publicité elle-même des marques, fomenté par la valeur d’usage (en vue de sa valorisation comme valeur d'échange), il y a toujours plus de choses à désirer acheter, à désirer voyager, etc. La distribution entre salaires et profits est donc toujours objet d'envies, plus ou moins envieuses (c’est ce que les marxistes appelaient de “lutte de classes”), elle ne peut donc qu’être politique, cela a toujours été le cas pendant ces deux siècles d’industrialisation capitaliste, à travers soit de grèves et de luttes plus ou moins sauvages, soit de concertations plus ou moins sous l’égide de l’État. C’est ce caractère essentiellement politique de l’économie qui, effet de la réduction, est gommé, effacé, par le libéralisme, donnant ‘bonne conscience’ – il s’agissant toujours de guerre - aux généraux, officiers et sous-officiers, aux cadres des grandes entreprises, dont le but est de s’enrichir, leurs salaires étant en règle négociés en coulisses.
10. L’impératif de la réduction des coûts (l’économie au sens le plus courant du mot, d’épargne) que l’on voit aujourd’hui généralisé – au nom sacro-saint de la compétitivité, c’est-à-dire de la compétition guerrière des capitaux – a ainsi une cible immédiate, évidente, les salaires de l’infanterie (ceux qui n’ont pas de parole à la guerre), voire leur licenciement et rembauche facilités, ‘flexibles’. L’autre cible concerne le domaine lui-même de la production, soumis à la compétence de l’ingénieur et non point de l’économiste gestionnaire ; l’ingénieur, on y a fait une allusion tantôt, joue lui aussi d’une réduction laboratoriale et du respectif aveuglement, concernant notamment tout ce qui a rapport à l’environnement, soit celui interne de la production et de ses conditions de travail, soit celui de l’extérieur, ce que l’on appelle la pollution. Ici, la pression de la réduction des coûts, ‘aveugle’ du point de vue de la science économique, se fait sur un autre aveuglement ‘scientifique’, le danger devient donc double. À parer donc politiquement, à corriger par d’autres critères, comme il arrive dans la confection des budgets nationaux ou municipaux, c’est-à-dire par des instances essentiellement locales, de plus en plus impuissantes toutefois devant la multi-nationnalité du capital et de la technologie.
L’aveuglement structural d’une science sociale qui se prend pour science de la société
11. Il faut insister : les gens peuvent être plus ou moins avisés, cet aveuglement est structurel à l’économie en tant que science, il a des effets sur ses hypothèses théoriques, sur ses façons de chercher les statistiques à tenir en compte ; il permet de comprendre, je crois, les différences de conception entre les acteurs autant économiques que politiques. La question qu’il faudrait soulever : peut-on, à défaut d’une sociologie qui soit science des sociétés globales et qui aurait servi de guide à l’économie en tant que science sociale, trouver des critères susceptibles d’un consensus scientifique autre que ceux d’une science ‘normale’ aveugle ? À l’instar, par exemple, de la science du droit, qui reçoit les questions sur lesquelles elle doit travailler – l’esclavage, l’avortement, la peine de mort, l’euthanasie, la pédophilie – du débat politique démocratique ; ce n’est pas à elle, science thérapeutique de la société, à décider des réponses à apporter. Soit un autre exemple de science thérapeutique. Admettons que la biologie soit une science positive, y comprise la biologie des mammifères humains... Il est clair que cet ajout rend tout de suite malaisée l’affirmation, car pour nous la biologie des mammifères humains est la médicine, et celle-ci, toute positive qu’elle soit, vise plus que la connaissance fondamentale en anatomie et physiologie humaines, elle vise leurs maladies, ayant pour but leurs guérisons singulières. Ce furent les maladies qui, depuis Hippocrate tout au moins, ont posé les questions auxquelles la médicine tâche de répondre: personne ne niera, je crois, que la médicine soit une science essentiellement thérapeutique. Or, il se trouve que, dans les sociétés modernes, hôpitaux, industrie pharmaceutique, consultation médicale, cliniques en tout genre, sont parmi les unités locales d’habitation dont l’économie doit s’occuper, de leurs coûts, salaires, profits, etc. Depuis longtemps que les médecins savent que la nourriture, autant quantité que qualité, est essentielle pour la santé des populations : s’ils se trouvent devant une situation de faim accélérée, devant un chômage croissant, par exemple, dû à une crise économique très grave, on court le risque de voir se poser des problèmes de coûts insolubles qui ne feront qu’aggraver la crise. Si elle relève d’une crise économique, on ne peut pas prétendre que ce soit une question extérieure à la science économique : puisque celle-ci est une science qui a rapport à des gens qui mangent (comment justifier les salaires, par exemple, sans en tenir compte ?). C’est à dire que la faim est une question sociale qui se pose à l’économie avant même de se poser à la médicine.
La tâche de l’économie politique : maîtriser la loi de la guerre des capitaux
12. L‘éco-nomie’ doit être la science de l’habitation (oikos, en grec, maison), à travers la réduction opérée par la monnaie, de même que la médicine est la science de la santé à travers la réduction opérée par les laboratoires biochimiques. Il va de soi que je n’ai rien à dire de précis concernant ce qui doit être cette économie en tant que science thérapeutique de l’habitation humaine, de ses façons de tenir compte des questions écologiques, de la faim et de la pauvreté, de comment arriver à une maîtrise de la loi de la guerre en ce qui concerne celle du capital financier, mais il s’agira d’un tournant épistémologique dont on a un exemple historique récent, celui de l’économie politique de Keynes dans les années 30. On peut penser qu’il a vu venir la catastrophe, et que, ayant compris les leçons du New Deal de Roosevelt, il a tâché de repenser sa science dans le sens de ce qu’il fallait faire pour remédier à la crise[7]. « Il ne peut y avoir aucune règle générale, mais une analyse au coup par coup » disait Sapir, c’est le cas des sciences thérapeutiques, comme la médicine ou la jurisprudence, mais aussi des techniques du génie civil (ponts, barrages, routes, gratte-ciel). Il y aura sans doute déjà des jeunes économistes s’en occupant. En admettant toutefois qu’ils arrivent à des résultats susceptibles d’application thérapeutique, comment faire pour que cette conception nouvelle pénètre les universités à pensée unique, devienne politiquement dominante parmi les économistes? Cela semble très difficile ; un extrait d’une intervention du réputé économiste portugais Augusto Mateus dans un débat en 2005 permet de saisir la ‘cuirasse idéologique’ qui joue comme obstacle. “L’économie, a-t-il dit, a voulu devenir la physique des sciences sociales et l’a réussi, au sens que cette expression peut avoir : au niveau des sciences sociales, elle est celle qui réussit le mieux à formaliser, qui accorde plus d’attention au diagnostique et à l’obtention d’information, qui réussit à faire la meilleure paraphernalie de l’utilisation de la technologie, de la mathématique, des enquêtes, de l’analyse de données. [...] Elle est devenue parmi les sciences sociales celle qui réussit à dire les chose les plus globales, autant les plus intéressantes que les moins intéressantes”[8]. Combien plus difficile sera-t-il aux économistes de prétendre intervenir, en tant que savants, dans la guerre des capitaux ! L’exemple de Keynes appliqué après la catastrophe de 39-45 suggère comment il faudra, hélas !, une crise telle que tout le monde, les capitalistes aussi et surtout, comprennent que, tout comme alors, il va nous falloir le ‘nouvel esprit du capitalisme’ que Boltanski et Chiapello ont préconisé.
[1] Japão. As duas faces do gigante, trad. port. par A.-P. Curado de l’édition américaine, What is Japan ? Contradictions and transformations (Kodansha America Inc., 1993), Difusão Cultural, Lisboa, 1994, p. 151 (début de la 4e partie).
[2] Jacques Sapir, Les trous noirs de la science économique. Essai sur l’impossibilité de penser le temps et l’argent, Albin Michel, 2000, pp. 263-4, je souligne.
[3] Guerres civiles, révolutions et contre-révolutions, interventions diverses de la Sainte Alliance, recul européen de l’empire ottoman, nouvelles nations européennes, notamment l’Allemagne et l’Italie unifiées, Russie et États-Unis qui deviennent puissances mondiales, guerres ouvertes de l’Angleterre et de la France en Asie, Inde ou Afrique (p. 24).
[4] Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.
[5] Jean-Joseph Goux, "Numismatiques II", Tel Quel, nº 36, 1969. ‘Ancêtre’ de ma ‘phénoménologie’, qui l’a toutefois déplacé de Lacan à Derrida, et étendu aux biologies moléculaire et neuronale et à la physique-chimie.
[6] De même que les impôts, d’ailleurs.
[7] La désignation classique d’économie politique fait « référence, dit l’économiste canadien Gilles Dostaler, à une tradition plus multidisciplinaire d’approche des problèmes économiques et sociaux, par opposition à une approche plus fermée ou spécialisée qui postule que la société est composée d’une somme d’agents rationnels. […] On invite les économistes sur la place publique comme techniciens qui auraient une réponse technique à un problème technique [...] pouvant être traité mathématiquement et de façon déterministe. [...] Keynes a dénoncé cette hypermathématisation; il disait que le cycle économique est un processus politique, social, psychologique, idéologique, tellement compliqué qu’on ne peut le mettre en équation et dire: ‘voici! s’il se passe ceci, il va arriver cela...’ Keynes disait que l’économiste doit être humble comme un dentiste [un thérapeute!], un petit technicien. Or [...] aujourd’hui on donne à l’économie un statut analogue à la physique ou à la chimie ou à la biologie”. (“Qu’est-ce que l’économie politique? Entrevue de G. Dostaler”, Forgues et Thériault, in www.unites.uqam.ca./aep/dostaler.html).
[8] Il ajoutait toutefois: “je ne suis pas parmi ceux qui pensent que l’économie est au centre de quelque chose, mais parmi ceux qui pensent que nous avons un problème de fragmentation, que nous vivons dans une période de dialogue interdisciplinaire, qui est fort important.”
EN TANT QUE SCIENCE THÉRAPEUTIQUE
Fernando Belo
Les ‘lois économiques’ dépendent des contextes sociaux
Science sociale ou science de la société ?
La loi de la jungle et la loi de la guerre
Le commerce global contre la guerre globale
“Le capitalisme prospère; la société se dégrade”
La monnaie et la réduction scientifique en économie…
…cachent la politique au dedans des choix économiques
L’aveuglement structural d’une science sociale qui se prend pour science de la société
La tâche de l’économie politique : maîtriser la loi de la guerre des capitaux
1. Toutes les sciences occidentales dignes de ce nom ont été instituées à partir (en plus de la géométrie) de la matrice philosophique héritée par l’Europe de la Grèce et des universités médiévales, matrice avec laquelle il leur a fallu rompre comme condition de leur autonomie scientifique, autant théorique que méthodologique et expérimentale. Ce fut Kant qui a théorisé philosophiquement cette rupture et a accordé l’autonomie aux sciences qui se sont bruyamment instituées dans les universités européennes du 19e siècle. Mais ne pouvant rendre compte des motifs théoriques et pratiques acquis à partir de cette rupture, ne pouvant se justifier épistémologiquement, les sciences gardent de leur naissance une sorte d’ombilic philosophique que leur développement historique réélaborera à l’insu de leurs scientifiques. C’est vrai des sciences de la matière et de l’énergie, les premières à rompre dès Galilée et Newton, des sciences des vivants, des sociétés, de l’économie en tant que science sociale. C’est cet ombilic inaccessible aux économistes qui m’intéressera ici, moi qui n’en suis point : je l’aborderai à partir de ce que j’appellerai philosophie avec sciences ou phénoménologie reformulée, sans pouvoir en détailler les présupposés. J’espère toutefois que mon propos soit compréhensible.
Les ‘lois économiques’ dépendent des contextes sociaux
2. Je commencerai par la citation de deux économistes, dont la compétence relève d’économies extérieures à l’espace euro-américain. D’abord, le Japonais Taichi Sakaiya, économiste qui a travaillé dans le célèbre Ministère du Commerce et Industrie Internationaux (MITI), où il fût le responsable de deux Expositions (Osaka 1970, Okinawa 1975). “L’expérience du Japon moderne, surtout après la guerre, est pleine d’exceptions à ce qui, au niveau mondial, est considéré comme un corpus de lois économiques. Par exemple, le Japon a réussi une croissance économique rapide en même temps que les différentiels des rendements diminuaient de façon considérable. Les entreprises ont grandi et leurs employés sont devenus plus loyaux envers elles. L’éventail salarial réduit et le système d’emploi à vie n’ont pas fait diminuer la compétition pour la promotion dans les entreprises. Bien que les différences entre les rendements et les positions basées sur des diplômes académiques plus élevés soient moindres que dans n’importe quel autre pays, la compétition dans les tests et les examens est intense. Quand les niveaux de rendement augmentent, les travailleurs ne ralentissent pas le rythme du travail. L’urbanisation croissante est suivie d’une diminution des taux de criminalité. Une transition vers le secteur des services dans l’activité économique ne produit pas une augmentation de l’économie souterraine”[1]. Ce qui implique que ce ‘corpus de lois économiques’ change selon les différences anthropologiques (historiques ou sociologiques), ce que l’auteur illustre en suivant le parcours historique du Japon.
3. À une conclusion semblable – l’altération des ‘lois économiques’ selon les contextes - arrive l’économiste français Jacques Sapir, qui a accompagné sur place depuis les années 80 l’économie soviétique d’abord et russe ensuite, en enseignant la science économique à Moscou. C’est sa compétence exceptionnelle sur “l’échec répété des politiques inspirées, ou suggérées, par les organisations internationales et ceux de ses collègues qui jouissent de la plus flatteuse réputation dans la profession” (p. 9) qui rend précieuse la citation suivante, en conclusion de la discussion qu’il a mené sur “quatre des principaux paradigmes de l’action économique contemporaine [qui] nous laisse percevoir le champ de ruines qui est devenue la pensée économique dominante. [...] 1. Les avantages et désavantages d’un accroissement de la concurrence, de la décentralisation, de la flexibilité ou d’un renforcement de la propriété privée [ce sont les quatre paradigmes en question], sont contingents aux contextes institutionnels, structurels et techniques dans lesquels ces décisions doivent être prises. Ces contextes sont eux-mêmes affectés par de telles décisions. Il ne peut donc y avoir aucune règle générale, mais une analyse au coup par coup, et la contribution des économistes peut résider dans une analyse concrète de situations concrètes. 2. L’économie, en tant que discipline scientifique, ne peut fonder dans sa totalité une telle décision, quel qu’en soit le sens. Il y a une part irréductible de choix social et éthique qui implique que la décision ne soit pas l’œuvre de techniciens, juristes, mais qu’elle engage la représentation politique de la communauté concernée”[2].
Science sociale ou science de la société ?
4. C’est que l’économie n’est pas une ‘science de la société’ dans sa globalité, elle n’est qu’une ‘science sociale’, à l’instar de la linguistique, du droit ou de la démographie, voire de la médicine, une science qui porte sur certaines structures des sociétés contemporaines, tandis que la science qui devrait rendre compte de la globalité des structures de ces sociétés, la sociologie, en est manifestement incapable : elle semble se limiter à certains champs – sociologie de l’éducation, de la famille, de la culture, des médias, de la religion -, comme une ‘science sociale’ parmi les autres, s’avouant implicitement incapable d’atteindre la façon fort complexe dont ces diverses structures s’impliquent les unes les autres, dont quelques unes (la langue, école et médias, l’organisation politique et le marché) traversent toutes les autres. Ma proposition ici c’est que, de même que, du temps de l’organisation moderne des États nations, le droit a joué le rôle indispensable de ‘science de la société’ globale, de même l’économie aujourd’hui, en ces temps de globalisation des marchés, supplée une sociologie qui est impuissante à tenir ce rôle qui, en théorie, devrait lui revenir. Et puisqu’on sera facilement d’accord qu’il faut bien que ce rôle soit rempli par l’économie tant que la sociologie n’en soit pas à la hauteur, la question qu’il faut poser est celle des choix qu’elle aura à faire, étant donnée, comme disait Sapir, « la part irréductible de choix social et éthique qui implique que la décision ne soit pas l’œuvre de techniciens, juristes », les techniciens ici en question étant clairement les économistes. Ces choix, dans la mesure où ils relèvent d’approches scientifiques, devraient être d’abord l’objet des recherches de la sociologie, c’est à elle que les politiciens, les activistes et les citoyens devraient demander des lumières. Mais aussi les économistes : quelles statistiques tenir en compte, de quelles dimensions des sociétés faut-il tenir compte, que faut-il préserver d’emblée du social ?
La loi de la jungle et la loi de la guerre
5. Pour saisir ce qui pose en effet problème dans la globalisation des marchés et des technologies, médias y compris, il faut faire un petit détour par l’histoire. Des vivants d’abord, dont l’évolution a été dominée par la loi de la jungle, liée à des raisons biochimiques assez précises : ce que l’on doit appeler le ‘cycle de reproduction des molécules à carbone’, qui sont partie structurelle de toutes les molécules des cellules (sauf de l’eau), implique que les plantes aillent cueillir ces molécules à carbone à l’atmosphère par la photosynthèse, les herbivores chez les plantes et les carnivores chez les herbivores. Les espèces mieux évoluées, les arthropodes (parmi les invertébrées), les oiseaux et les mammifères, ont abouti à des endogamies strictes pour défendre ce qui les rend différentes de celles qui leur sont plus proches, c’est-à-dire essentiellement le système neuronal qui articule autour du cerveau leurs organes de perception et de locomotion, et pour la préhension de proies et pour à leur tour se défendre de prédateurs. C’est pourquoi nous autres, les humains, nous avons hérité les muscles et les cerveaux d’espèces habiles à devoir se débrouiller sous la violence de loi de la jungle. Si l’invention de l’agriculture et de l’élevage a représenté la maîtrise par les sociétés humaines de la loi de la jungle, celle-ci s’était déjà déplacée vers une autre sorte de loi, la loi de la guerre entre elles, sociétés, P. Clastres ayant montré l’existence d’une frontière au-dedans de laquelle on échangeait des femmes et des cadeaux, au-dehors de laquelle on se guerroyait. Ici, l’explication passerait par un facteur qu’on dirait anthropo-chimique, des envies à base hormonale qui, d’une part, demandent des lois morales pour les modérer ‘ad intra’, à commencer par l’interdit de l’inceste, et d’autre part, poussent à la guerre ‘ad extra’. De façon très générale, il s’agit de l’envie de faire comme les autres, qui est essentielle à la dynamique de toute sorte d’apprentissage mais devient aisément envie d’être envié par les autres comme le plus fort. Or, l’agriculture et l’élevage, tout en maîtrisant la loi de la jungle, ont aussi rendu possible l’accumulation de richesses non périssables qui ont fait changer la nature de la guerre, la faire devenir guerre de conquête - de butins, d’esclaves, de sociétés réduites à la vassalité -, les castes nobles étant partout celle des guerriers.
Le commerce global contre la guerre globale
6. Le livre remarquable du socialiste non-marxiste Karl Polanyi, La Grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, écrit en 1944 (Gallimard, 1983), après ses premiers mots - “La Paix de cent ans. La civilisation du XIXe siècle s’est effondrée” (p. 21) - poursuit un peu plus loin : “au XIXe siècle s’est produit un phénomène sans précédent dans les annales de la civilisation occidentale : les cent années de paix de 1815 à 1914. Mis à part la guerre de Crimée - événement plus ou moins colonial -, l’Angleterre, la France, la Prusse, l’Italie et la Russie ne se sont fait la guerre les unes aux autres que dix-huit mois au total” (p. 23), malgré l’énormité de conflits ‘locaux’ qui ont jalonné le siècle[3]. Et voici son diagnostique : “le commerce était maintenant lié à la paix. Dans le passé, l’organisation du marché avait été militaire et guerrière. C’était un auxiliaire du pirate, du corsaire, de la caravane armée, [...] des marchands porteurs de l’épée, de la bourgeoisie urbaine en armes, des aventuriers et des explorateurs, des planteurs et des conquistadores, des chasseurs d’hommes et des trafiquants d’esclaves, et des armées coloniales des compagnies à charte. Tout cela était désormais oublié. Le commerce dépendait dorénavant d’un système monétaire international qui ne pouvait fonctionner lors d’une guerre générale. Il exigeait la paix, et les Grandes Puissances s’efforçaient de la maintenir” (p. 36). Il écrivait ceci à chaud : la première globalisation, après une centaine d’années de paix, venait de subir pendant 30 ans une implosion inénarrable, c’est que son livre tâche d’expliquer. Sa thèse est la suivante : le marché autorégulateur (promu par le libéralisme anglais) a été la cause des deux grandes guerres. Et la pointe de son argumentation : ‘marchandise’ étant empiriquement définie comme objet produit pour être vendu sur le marché et ‘marché’ comme les contacts effectifs entre vendeurs et acheteurs, il en résulte en pratique qu’il doit avoir des marchés pour tous les éléments concernant l’industrie ; ce postulat, dit Polanyi, est faux pour ce qui est de la force de travail, de la terre et de la monnaie, car aucun n’a été produit pour être vendu, aucun n’est donc ‘marchandise’. Ils doivent tous trois être préservés du statut marchand que le libéralisme leur a étendu.
“Le capitalisme prospère; la société se dégrade”
7. Ce n’est pas le lieu ici (ni aurais-je la compétence) de discuter cette thèse, elle peut toutefois nous servir d’indicateur sur ce point essentiel de notre actualité : le libéralisme outrancier, revenu depuis une trentaine d’années, court le risque de détruire les structures de la société globale elle-même. Car “le capitalisme prospère; la société se dégrade”, constatent dans une formule lapidaire Luc Boltanski et Ève Chiapello[4]. C’est-à-dire que d’autres formes d’implosion peuvent se profiler à l’horizon. Toutefois, il semble que, malgré la fréquence des conflits locaux, les 60 années de paix globale depuis 1945 sont à compter comme la reprise de celle qui a duré pendant tout un siècle, le XIXe. S’est-on pour autant délivrés de la loi de la guerre ? Bien sûr que non : tandis que l’on poursuit la recherche de sa maîtrise par les institutions et traités de droit international, elle s’est tout simplement déplacée ailleurs, sans cesser son jeu de toujours partout où rivalités et jalousies se manifestent, c’est-à-dire partout où il y a des humains : en plus des conflits locaux et régionaux, elle est fort visible, par exemple, dans l’organisation spectaculaire des sports, autant dans l’âpre compétition des athlètes que dans les passions de leurs supporters. Et, d’autre part, celle qui nous intéresse ici, elle joue un rôle primordial en économie qui est, dans le domaine financier, de plus en plus sous la dépendance d’une vraie guerre des capitaux. Il n’y aura peut-être que des économistes pour ne s’en rendre compte (par des raisons idéologiques de métier), car il est évident à tout observateur honnête, c’est-à-dire dont le but de la vie n’est pas de s’enrichir, il est évident que la logique profonde de l’économie mondiale depuis une trentaine d’années est celle d’une guerre de chiffres, cherchant des chiffres de plus en plus grands. Des chiffres qui deviennent astronomiques, donc abstraits : qu’ils soient plus grands que ceux des autres concurrents. Certes, ces chiffres se traduisent en pouvoir d’acheter des unités sociales, à l’étranger notamment, des territoires à ‘conquérir’ à l’instar des guerres classiques, mais là encore ce n’est que pour l’augmentation des chiffres. Voici le moment d’essayer d’approcher le cœur de la science économique.
La monnaie et la réduction scientifique en économie…
8. Par où approcher l’économie de façon ‘phénoménologique’ ? Disons que les économistes ne font rien pour nous faciliter la tâche. Dans un très beau texte de 1969, Numismatiques, une sorte de théorie philosophico-lacanienne des monnaies[5], J.-J. Goux aborde l’économie par la théorie de la monnaie et de la marchandise du Capital de Marx. Le point décisif, c’est que le rôle de tout équivalent général de circulation de marchandises, l’or à l’époque, implique qu’il soit exclu, retiré, de son statut de marchandise pour devenir – sous forme de monnaie – susceptible d’être échangé avec n’importe laquelle marchandise, selon des prix pour chacune exprimés en valeur monétaire. Pour les établir, il faut, certes, faire le compte de ses divers coûts de production, mais, une fois que c’est fait, le produit devient marchandise le temps de sa circulation dans le marché, sa valeur d’usage étant réduite, ignorée, en tant que condition structurelle de l’échange lui-même, du marché, et donc aussi de l’économie en tant que science. Celle-ci joue avec des chiffres statistiques : des prix et des quantités de marchandises, des salaires et des ventes, des coûts et des profits. Cette réduction est l’opération proprement scientifique de l’économie, de même que la commutation en linguistique structurale ou les mesures de distance, temps, poids, température, etc., en physique. Elle rend possible la constitution d’archives statistiques comme laboratoire scientifique de l’économie, à part de la scène elle-même du marché et de son aléatoire indéfini, elle rend possible d’instituer des ‘phénomènes économiques’, au sens de susceptibles ‘d’expérimentation scientifique’ : ils sont nécessairement des fragments (de laboratoire) que la théorie - qui organise l’expérimentation - doit rassembler, unifier, afin de pouvoir ensuite généraliser. En effet tout laboratoire scientifique réduit, par définition, par structure : la commutation linguistique réduit le ‘sens’ des unités linguistiques analysées pour en constituer les paradigmes, de même que le physicien réduit la ‘qualité’ des phénomènes, pour ne retenir que les dimensions requises par l’expérimentation. C’est-à-dire qu’il y a un ‘aveuglement’ de cette réduction qui est la rançon de la scientificité gagnée, un aveuglement sur la scène de ladite réalité, sur la singularité de ses jeux incessants, leurs indéterminations. C’est cet aveuglement des laboratoires des ingénieurs qui explique, par exemple, qu’il y ait des effets de pollution de leurs machines, ce sont des effets que le laboratoire a dû réduire, laissé en dehors du laboratoire. Quand telle théorie économique a comme but comprendre, voire ‘prédire’, tels agencements macro-économiques, ce ne peut être ni des ‘prédictions’ de comment agira tel ou tel agent économique, ni non plus des incidences de ces agencements sur des facteurs sociaux autres que ceux retenus par la réduction scientifique. Ainsi, si telle politique économique peut prévoir les limites d’augmentation du chômage qui en sera la conséquence, elle ne peut pas savoir d’elle-même, par exemple, s’il aboutira à une explosion sociale, ou quoi qu’il en soit d’autre qui puisse toutefois remettre en question l’assise de la production économique que cette politique envisageait de réguler.
…cachent la politique au dedans des choix économiques
9. Or, ce qui fait problème, c’est que c’est cette réduction de tout ce qui n’est pas marché par la monnaie – l’opération scientifique propre à l’économie - qui justifie, me semble-t-il, le tournant monétariste des années 70 vers le libéralisme dont nous sommes en mesure de constater aujourd’hui l’effet néfaste sur les sociétés : la pauvreté (faim et épidémies avec) qui augmente autant dans le tiers monde que dans le premier. Contradiction de mon discours ? Au contraire, sa confirmation : l’économie n’est point une science de la société, elle n’est qu’une science sociale, celle qui concerne la structure sociale qui est le marché, et pour l’être elle doit réduire tout ce qui, dans les sociétés modernes, n’est pas susceptible de marché. Et c’est ainsi que le neo-libéralisme monétariste a évincé l’économie politique de Keynes, qui a rendu possible les fameuses Trente glorieuses de 47-73, l’a évincé avec des arguments proches des ‘évidences’ scientifiques que je viens de rappeler. Il me semble, en effet, que la monnaie s’y prête : le capital serait le seul facteur social à n’y être pas réduit, puisqu’il s’exprime en unités monétaires, à l’envers des travailleurs, réduits à leurs salaires en tant que coûts de production. Ce qui disparaît dans cette façon de faire les comptes en économie libérale, c’est ce que je crois être l’une des vérités cruciales de l’analyse marxiste : la distribution des plus values de la production industrielle, en plus donc de tous les coûts, y compris les financiers et les impôts, cette redistribution - entre l'ensemble des salaires de tous ceux qui travaillent dans l'entreprise et les profits du capital - reste essentiellement aléatoire[6]. Elle n'est pas susceptible d'une règle scientifique, d’un critère arithmétique intrinsèque, elle est toujours l'effet d'une appropriation. Sans doute elle n'est pas indépendante de la scène du marché et de son instabilité structurelle, en amont comme en aval. Et notamment en ceci que les salaires devront permettre la reproduction quotidienne des travailleurs et de leurs familles, qui d'habitude, par l'effet même de la révolution industrielle qui les a concentrés dans des grandes villes, n'ont plus des ressources agricoles et de bétail pour l'autoconsommation, doivent donc acheter tout ce dont ils ont besoin. Mais ces besoins, d'autre part, sont aussi aléatoires et n'ont pas de limites : de par le jeu disséminant de la publicité elle-même des marques, fomenté par la valeur d’usage (en vue de sa valorisation comme valeur d'échange), il y a toujours plus de choses à désirer acheter, à désirer voyager, etc. La distribution entre salaires et profits est donc toujours objet d'envies, plus ou moins envieuses (c’est ce que les marxistes appelaient de “lutte de classes”), elle ne peut donc qu’être politique, cela a toujours été le cas pendant ces deux siècles d’industrialisation capitaliste, à travers soit de grèves et de luttes plus ou moins sauvages, soit de concertations plus ou moins sous l’égide de l’État. C’est ce caractère essentiellement politique de l’économie qui, effet de la réduction, est gommé, effacé, par le libéralisme, donnant ‘bonne conscience’ – il s’agissant toujours de guerre - aux généraux, officiers et sous-officiers, aux cadres des grandes entreprises, dont le but est de s’enrichir, leurs salaires étant en règle négociés en coulisses.
10. L’impératif de la réduction des coûts (l’économie au sens le plus courant du mot, d’épargne) que l’on voit aujourd’hui généralisé – au nom sacro-saint de la compétitivité, c’est-à-dire de la compétition guerrière des capitaux – a ainsi une cible immédiate, évidente, les salaires de l’infanterie (ceux qui n’ont pas de parole à la guerre), voire leur licenciement et rembauche facilités, ‘flexibles’. L’autre cible concerne le domaine lui-même de la production, soumis à la compétence de l’ingénieur et non point de l’économiste gestionnaire ; l’ingénieur, on y a fait une allusion tantôt, joue lui aussi d’une réduction laboratoriale et du respectif aveuglement, concernant notamment tout ce qui a rapport à l’environnement, soit celui interne de la production et de ses conditions de travail, soit celui de l’extérieur, ce que l’on appelle la pollution. Ici, la pression de la réduction des coûts, ‘aveugle’ du point de vue de la science économique, se fait sur un autre aveuglement ‘scientifique’, le danger devient donc double. À parer donc politiquement, à corriger par d’autres critères, comme il arrive dans la confection des budgets nationaux ou municipaux, c’est-à-dire par des instances essentiellement locales, de plus en plus impuissantes toutefois devant la multi-nationnalité du capital et de la technologie.
L’aveuglement structural d’une science sociale qui se prend pour science de la société
11. Il faut insister : les gens peuvent être plus ou moins avisés, cet aveuglement est structurel à l’économie en tant que science, il a des effets sur ses hypothèses théoriques, sur ses façons de chercher les statistiques à tenir en compte ; il permet de comprendre, je crois, les différences de conception entre les acteurs autant économiques que politiques. La question qu’il faudrait soulever : peut-on, à défaut d’une sociologie qui soit science des sociétés globales et qui aurait servi de guide à l’économie en tant que science sociale, trouver des critères susceptibles d’un consensus scientifique autre que ceux d’une science ‘normale’ aveugle ? À l’instar, par exemple, de la science du droit, qui reçoit les questions sur lesquelles elle doit travailler – l’esclavage, l’avortement, la peine de mort, l’euthanasie, la pédophilie – du débat politique démocratique ; ce n’est pas à elle, science thérapeutique de la société, à décider des réponses à apporter. Soit un autre exemple de science thérapeutique. Admettons que la biologie soit une science positive, y comprise la biologie des mammifères humains... Il est clair que cet ajout rend tout de suite malaisée l’affirmation, car pour nous la biologie des mammifères humains est la médicine, et celle-ci, toute positive qu’elle soit, vise plus que la connaissance fondamentale en anatomie et physiologie humaines, elle vise leurs maladies, ayant pour but leurs guérisons singulières. Ce furent les maladies qui, depuis Hippocrate tout au moins, ont posé les questions auxquelles la médicine tâche de répondre: personne ne niera, je crois, que la médicine soit une science essentiellement thérapeutique. Or, il se trouve que, dans les sociétés modernes, hôpitaux, industrie pharmaceutique, consultation médicale, cliniques en tout genre, sont parmi les unités locales d’habitation dont l’économie doit s’occuper, de leurs coûts, salaires, profits, etc. Depuis longtemps que les médecins savent que la nourriture, autant quantité que qualité, est essentielle pour la santé des populations : s’ils se trouvent devant une situation de faim accélérée, devant un chômage croissant, par exemple, dû à une crise économique très grave, on court le risque de voir se poser des problèmes de coûts insolubles qui ne feront qu’aggraver la crise. Si elle relève d’une crise économique, on ne peut pas prétendre que ce soit une question extérieure à la science économique : puisque celle-ci est une science qui a rapport à des gens qui mangent (comment justifier les salaires, par exemple, sans en tenir compte ?). C’est à dire que la faim est une question sociale qui se pose à l’économie avant même de se poser à la médicine.
La tâche de l’économie politique : maîtriser la loi de la guerre des capitaux
12. L‘éco-nomie’ doit être la science de l’habitation (oikos, en grec, maison), à travers la réduction opérée par la monnaie, de même que la médicine est la science de la santé à travers la réduction opérée par les laboratoires biochimiques. Il va de soi que je n’ai rien à dire de précis concernant ce qui doit être cette économie en tant que science thérapeutique de l’habitation humaine, de ses façons de tenir compte des questions écologiques, de la faim et de la pauvreté, de comment arriver à une maîtrise de la loi de la guerre en ce qui concerne celle du capital financier, mais il s’agira d’un tournant épistémologique dont on a un exemple historique récent, celui de l’économie politique de Keynes dans les années 30. On peut penser qu’il a vu venir la catastrophe, et que, ayant compris les leçons du New Deal de Roosevelt, il a tâché de repenser sa science dans le sens de ce qu’il fallait faire pour remédier à la crise[7]. « Il ne peut y avoir aucune règle générale, mais une analyse au coup par coup » disait Sapir, c’est le cas des sciences thérapeutiques, comme la médicine ou la jurisprudence, mais aussi des techniques du génie civil (ponts, barrages, routes, gratte-ciel). Il y aura sans doute déjà des jeunes économistes s’en occupant. En admettant toutefois qu’ils arrivent à des résultats susceptibles d’application thérapeutique, comment faire pour que cette conception nouvelle pénètre les universités à pensée unique, devienne politiquement dominante parmi les économistes? Cela semble très difficile ; un extrait d’une intervention du réputé économiste portugais Augusto Mateus dans un débat en 2005 permet de saisir la ‘cuirasse idéologique’ qui joue comme obstacle. “L’économie, a-t-il dit, a voulu devenir la physique des sciences sociales et l’a réussi, au sens que cette expression peut avoir : au niveau des sciences sociales, elle est celle qui réussit le mieux à formaliser, qui accorde plus d’attention au diagnostique et à l’obtention d’information, qui réussit à faire la meilleure paraphernalie de l’utilisation de la technologie, de la mathématique, des enquêtes, de l’analyse de données. [...] Elle est devenue parmi les sciences sociales celle qui réussit à dire les chose les plus globales, autant les plus intéressantes que les moins intéressantes”[8]. Combien plus difficile sera-t-il aux économistes de prétendre intervenir, en tant que savants, dans la guerre des capitaux ! L’exemple de Keynes appliqué après la catastrophe de 39-45 suggère comment il faudra, hélas !, une crise telle que tout le monde, les capitalistes aussi et surtout, comprennent que, tout comme alors, il va nous falloir le ‘nouvel esprit du capitalisme’ que Boltanski et Chiapello ont préconisé.
[1] Japão. As duas faces do gigante, trad. port. par A.-P. Curado de l’édition américaine, What is Japan ? Contradictions and transformations (Kodansha America Inc., 1993), Difusão Cultural, Lisboa, 1994, p. 151 (début de la 4e partie).
[2] Jacques Sapir, Les trous noirs de la science économique. Essai sur l’impossibilité de penser le temps et l’argent, Albin Michel, 2000, pp. 263-4, je souligne.
[3] Guerres civiles, révolutions et contre-révolutions, interventions diverses de la Sainte Alliance, recul européen de l’empire ottoman, nouvelles nations européennes, notamment l’Allemagne et l’Italie unifiées, Russie et États-Unis qui deviennent puissances mondiales, guerres ouvertes de l’Angleterre et de la France en Asie, Inde ou Afrique (p. 24).
[4] Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.
[5] Jean-Joseph Goux, "Numismatiques II", Tel Quel, nº 36, 1969. ‘Ancêtre’ de ma ‘phénoménologie’, qui l’a toutefois déplacé de Lacan à Derrida, et étendu aux biologies moléculaire et neuronale et à la physique-chimie.
[6] De même que les impôts, d’ailleurs.
[7] La désignation classique d’économie politique fait « référence, dit l’économiste canadien Gilles Dostaler, à une tradition plus multidisciplinaire d’approche des problèmes économiques et sociaux, par opposition à une approche plus fermée ou spécialisée qui postule que la société est composée d’une somme d’agents rationnels. […] On invite les économistes sur la place publique comme techniciens qui auraient une réponse technique à un problème technique [...] pouvant être traité mathématiquement et de façon déterministe. [...] Keynes a dénoncé cette hypermathématisation; il disait que le cycle économique est un processus politique, social, psychologique, idéologique, tellement compliqué qu’on ne peut le mettre en équation et dire: ‘voici! s’il se passe ceci, il va arriver cela...’ Keynes disait que l’économiste doit être humble comme un dentiste [un thérapeute!], un petit technicien. Or [...] aujourd’hui on donne à l’économie un statut analogue à la physique ou à la chimie ou à la biologie”. (“Qu’est-ce que l’économie politique? Entrevue de G. Dostaler”, Forgues et Thériault, in www.unites.uqam.ca./aep/dostaler.html).
[8] Il ajoutait toutefois: “je ne suis pas parmi ceux qui pensent que l’économie est au centre de quelque chose, mais parmi ceux qui pensent que nous avons un problème de fragmentation, que nous vivons dans une période de dialogue interdisciplinaire, qui est fort important.”
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