quarta-feira, 19 de fevereiro de 2014

Pourquoi les sciences ont-elles besoin de laboratoire ?



(détermination et indétermination
en Philosophie avec Sciences)

1. De même qu’il n’est pas fréquent que les philosophes s’interrogent sur la raison philosophique de la définition, il n’en est habituel que les scientifiques et les philosophes des sciences posent la question du statut épistémologique du laboratoire, si l’on croit, par exemple, le Dictionnaire d’Histoire et Philosophie des Sciences de Dominique Lecourt (P U F, 1999), où l’entrée ‘laboratoire’ n’existe point. Or, il s’y agit des deux inventions majeures de l’histoire gnoséologique de l’Occident, la première due aux Grecs, l’autre aux Européens. Si l’on faisait un sondage parmi des scientifiques et des philosophes des sciences sur la raison d’être du laboratoire, je présume qu’on aurait des réponses du genre de la nécessité des échafaudages pour les bâtiments, retirés et oubliés après qu’ils soient finis, un instrument indispensable qui ne suscite pas de pensée par la réflexion. Je présume, ce n’est qu’une présomption. Toutefois, le laboratoire se m’est imposé comme crucial en Philosophie avec Sciences et c’est de cela qu’il s’agira ici.
2. La définition est une opération violente d’écriture opérée sur les récits, les discours rhétoriques, les opinions, en tant que particuliers qui a retiré le terme à définir de ses contextes, en les réduisant, leurs caractères particuliers, notamment la riche morphologie des verbes narratifs, et a constitué le texte philosophique en tant que texte sur des généralités (non pas des événements ni des opinions particulières), d’essences intemporelles et impersonnelles, sans lieu ni circonstance, sans contexte donc, et qui argumente sur elles pour chercher des causes et des effets comme raison d’être des choses.
3. La spéculation médiévale a montré les limites de la portée de la définition. Le laboratoire de Physique du siècle XVII lui a ajouté, à la théorie scientifique faite par des définitions, l’objection d’une expérimentation sur des mouvements mesurés par des techniques de mensuration conventionnées, selon des dimensions qui se sont multipliées les siècles suivants ; ce qui avait manqué aux philosophes, l’usages des mains, autant Galilée que Newton ont su fabriquer eux-mêmes les appareils qu’ils imaginaient. Malgré ce qu’il ajoutait, le laboratoire  ne cessait d’être l’enfant de la définition, puisque il opère aussi une réduction du contexte d’où il retire le phénomène qu’il doit analyser , il le retire de la portée des récits et des opinions à fin de pouvoir le hausser au savoir gnoséologique intemporel, disons ‘universel’, si l’on entend par ‘univers’ les laboratoires qui répéteront les opérations expérimentales et les écoles et bibliographies où l’on enseigne les sciences. On peut dire que ce que le laboratoire réussit et le rend condition structurale de cette vérité scientifique universelle c’est la création de conditions de détermination  qui n’existent justement pas dans les contextes habituels de ladite ‘réalité’ dont s’occupent récits et opinions. Mais ceci implique quelque  chose qui pourra probablement être incommode pour beaucoup de scientistes et de philosophes des sciences : que en dehors du laboratoire, ny ayant ps de détermination, ladite ‘réalité’ reste indéterminée, et c’est sur cela que j’essayerai de réfléchir ici.

Les trois strates des textes scientifiques
4. Il me semble que l’on peut discerner trois strates dans la composition des textes scientifiques. La première, de plus facile diagnostique, est celle qui se donne comme citation de qui a été l’expérimentation laboratoriale, les résultats des mensurations en physique ou chimique après la description du processus suivi, les opérations linguistiques de commutation structurale, les informations d’un indigène à l’anthropologue. Dans le premier cas, par exemple les mesures de l’espace et du temps de la chute d’une petite boule au long d’une incise d’une planche par Galilée, ces résultats[1] n’ont de sens que pour servir de vérification des variables (e et t) d’une équation qui permettront de connaître la vitesse respective (v= e/t) et l’accélération (a=v/t=e/t2). Les variables étant partie définitoire de l’équation, qui appartient à la seconde strate, celui de la théorie (c’est cette équation qu’il faut découvrir), il faut dire qu’il n’y a pas de frontière séparant ces deux premières strates. Mais une équation, dans sa forme algébrique, ne subsiste pas sans son interprétation en langage doublement articulé, explicitant que e c’est l’‘espace’ du parcours, t le ‘temps’, v la ‘vitesse’, a l’‘accélération’, = ‘égal à’, / ‘division du premier facteur par le second’ et 2 la ‘multiplication du facteur par soi-même’. La seconde strate, celle de la théorie, est celle des équations physiques et de leur interprétation, de la compréhension théorique de ce niveau opérationnel, qui correspond au fragment d’une question physique régionale. Et encore la théorie qui viendra unifier les divers fragments expérimentaux et leurs équations, ce qui vise à rendre compte de ladite ‘réalité’ concernant le domaine scientifique en question.
5. La troisième strate est celle que Les mots et les choses de Michel Foucault a exhibé magistralement : l’épistème commun à trois disciplines différentes, concernant les vivants, les langues et le travail, autant aux siècles classiques (entre 1660 et 1780) autour de la représentation en tableaux, qu’au siècle XIX qui a assumé la temporalité dans les paradigmes et affirmé la scientificité de ces trois disciplines comme biologie, linguistique et économie, autonomisées de la métaphysique à la faveur de la coupure kantienne entre sciences, côté entendement, et philosophie, côté raison. Étant commun aux trois disciplines et cependant différent dans sa façon en chaque discipline, cet épistème se révèle assez clairement comme indissociablement philosophique et scientifique, donc ces sciences des héritières de la définition philosophique. Et l’on peut ajouter que la théorie physique de Newton, qu’il savait être une ‘science’ nouvelle sans que cela l’empêche de l’appeler ‘philosophie naturelle’, voire ‘expérimentale’, est-elle aussi indissociablement philosophique étant donné le rôle de la définition dans la théorie et scientifique par sa composante mathématique et expérimentale (géométrie et mécanique, a-t-il dit de sa ‘mécanique’, nouvelle science des forces).
6. Le rapport entre la physique et la technique a dans le laboratoire un caractère paradoxal. Si l’on fait la distinction entre celui du physicien, où l’on découvre tel phénomène, et celui de l’ingénieur où l’on invente tel artefact, une voiture, par exemple, on peut comprendre que celui-ci, d’un côté est polyvalent, ayant recours à plusieurs régions de la physique et de la chimie, et de l’autre qu’il fait application aux pièces de son artefact des équations découvertes par le scientifique moyennant les mesures qu’il calcule selon ces équations. Le paradoxe réside en ceci que les interprétations théoriques de ces équations peuvent changer sans que l’ingénieur en soit concerné le moins du monde, en témoigne la révolution théorique du siècle XX avec ses nouvelles interprétations relativistes (des vitesses proches de celle de la lumière) et quantiques (pour des dimensions de l’ordre des particules sub-atomiques) qui n’a pas affecté la ‘vérité’ de la physique newtonienne, de ses équations qui continuent d’être utilisées en nombre de laboratoires d’ingénieurs qui travaillent selon des vitesses et distances terrestres. Tandis que les théoriciens considèrent souvent cette physique-là obsolète, historiquement dépassée, sa strate laboratoriale, appareils de mensuration et équations, continue d’être valable, ‘vraie’ sans adjectifs pour nuancer : aux dimensions terrestres, les équations relativistes et quantiques résultent dans celles de la physique classique.

Paradigmes, épistèmes, phénoménologie
7. La distinction proposée entre strates n’est pas incompatible avec le beau motif de paradigme de chez Kuhn, avec l’avantage que les épistèmes à la Foucault rendent de la ‘commensurabilité’ à des paradigmes fort distincts prime d’abord, soit entre disciplines, soit ensuite entre sciences clairement distinctes, ce qui suggère que la thèse de l’incommensurabilité ignore la dimension philosophique des paradigmes. Toutefois, l’un des avantages les plus nets du motif kuhnien est l’exclusion de l’opposition entre théorie et expérience, ce qui résultait aussi du rapport établi tantôt entre les variables des équations et les résultats des mensurations. Il y a un avantage phénoménologique dans ce refus de dissocier théorie scientifique et épistème, science et philosophie, c’est que, à une époque où la distinction claire entre les deux démarches opérée par la critique kantienne ne semble plus garder pertinence, les sciences semblent assez émancipées des questions métaphysiques d’autrefois, c’est à l’envers le problème de leurs rapports entre elles, ladite interdisciplinarité, qui est devenu aigu et douloureux. À notre époque, il faut aller plus loin que Kuhn, oser pénétrer dans les paradigmes eux-mêmes (mais pas dans le laboratoire, interdit aux non-spécialistes) pour essayer de chercher ce qu’il y aura de philosophique chez eux en tant qu’obstacle à l’interdisciplinarité ; il s’agit de l’opposition dedans / dehors, avec les figures du sujet opposé à l’objet, ersatz européen du dualisme platonicien âme / corps.
8. On ne peut toutefois entrer dans les paradigmes de façon ‘seulement’ philosophique, il faut la complicité épistémologique des sciences elles-mêmes, de celle qui est en train d’être visitée, mais aussi d’un éventail d’autres susceptible de couvrir l’ensemble des diverses régions scientifiques. C’est ici que le recours à l’épistème de Les mots et les choses devient intéressant, puisque, tout en jouant d’une toute autre façon, il s’est agi d’analyser l’épistème commun aux diverses sciences du siècle XX, en interrogeant leurs découvertes majeures : la théorie de l’atome et de la molécule, la biologie moléculaire et neuronale, la double articulation des langues (Saussure, Martinet), le rapport entre l’interdit de l’inceste et l’exogamie dans les structures élémentaires des sociétés des humains (Lévi-Strauss) et la théorie freudienne des pulsions (le critère de discernement de ces découvertes comme primordiales est interne à l’argumentation phénoménologique, pas susceptible d’être posé a priori).
9. Il suffit de ce listage pour comprendre qu’il s’agit d’une démarche fort différente de celle de Foucault : en effet, c’est la phénoménologie que Husserl a ouvert en vue de s’occuper de la « crise des sciences européennes » et à laquelle Heidegger d’abord, Derrida ensuite ont fait des déviations importantes qui a rendu possible la découverte d’un accord entre ces cinq types de science non suspecté des scientifiques eux-mêmes, voire des deux philosophes inspirateurs. Heidegger est sorti de ce qui clôturait chez Husserl la ‘conscience’ du sujet et de son Ego, en venant à l‘être au monde (que donc, chez Derrida, est institué dans son intériorité à partir de l’extérieur, moyennant une réduction husserlienne) et puis à l’historicité des termes philosophiques et à leur imprégnation dans les textes scientifiques (à l’insu de leurs pratiquants, qui se croient extérieurs à la philosophie). Derrida a prolongé ces deux ancêtres de pensée et, en écrivant différence comme différance, a marquée celle-ci (espacio-temporalité de la vie, du langage et de la technique) en tant que rapport structural à l’autre, attentif au motif biologique de ‘programme génétique’, ce qui a permis de rendre visible le lieu de l’apprentissage comme institution de l’être au monde, qui prolonge la conception et la naissance. Soit dit au passage que c’est ce motif de la différance qui rend compte de l’importance que l’on attribue ici au laboratoire.
10. Laissant ceci de côté, pour ne compliquer trop ce texte, il faut dire quand même que ce motif de phénomène à décrire s’est montré très fécond, puisque c’est la description des phénomènes de leur domaine qui devrait être le but même des diverses sciences, la phénoménologie devrait être ‘leur chose’ ! Car c’est ce rapport méconnu des diverses sciences entre elles et avec la phénoménologie qui s’est manifesté – dans leurs découvertes majeures – leur dimension philosophique occultée par la critique kantienne, c’est qui a permis à chacune de venir occuper une place philosophique dans cette phénoménologie réélaborée, ce que j’ai appelé Philosophie avec Sciences. Il suffit de rappeler que, dès l’âme platonicienne et malgré l’hylémorphisme aristotélicien, le ‘sujet’ et la ‘conscience’ européens sont privés de corps et de sexe, de langue et de travail, de poids et de société, pour admettre qu’une phénoménologie se voulant à même d’intervenir dans les questions difficiles de notre civilisation, donnée au jour par la définition et par le laboratoire physique et chimique, doit récupérer ces dimensions dont le ‘sujet’ a été dépouillé et dont ces diverses sciences se sont occupés avec beaucoup de succès au siècle qui vient de finir. Na nouvelle Philosophie avec Sciences rend possible en principe (certes, il reste beaucoup de travail à faire de gens de compétences différentes) de comprendre l’univers des choses, décrire ses phénomènes, en unifier les avoirs aujourd’hui si scandaleusement dispersés.

Scientifiques, philosophes et la ‘réalité’
11. C’est cette Philosophie avec Sciences, phénoménologie réélaborée, que je propose être l’épistème des sciences actuelles. Il faut certes du culot, pourquoi d’ailleurs personne n’en s’est rendu compte. Si mes premiers mots ont porté, le manque d’attention  à la définition et au laboratoire montre que savants et penseurs, tout en se voulant déchiffreurs de la ‘réalité’, semblent se confronter avec elle comme des observateurs extérieurs, neutres, donnés à la ‘pure’ connaissance, à la ‘pure’ pensée. Tous les deux veulent l’embrasser, ladite ‘réalité’, mais le malentendu est inévitable : les scientifiques ne comprennent même pas les questions des philosophes, ceux-ci de leur côté ont tendance à accepter sans critique la version que les scientifiques ont de leur science, semblent ignorer la tradition philosophique qui la traverse, chaque science, ils se savent extérieurs au laboratoire et incompétents pour apprécier ce qui s’y passe. Comment justifier donc mon audace ? Je vois deux raisons d’ordre personnel, dont la première consiste en ce que ma première formation a été scientifique (licence d’ingénieur civil, donc physique classique), la deuxième résulte du manque de carrière philosophique académique, d’y être venu par le biais de questions (théologiques) étrangères à elle en partie ; notamment, je suis arrivé aux questions des rapports entre philosophie et sciences non point par la physique qui y prédomine, mais par les questions épistémologiques de la linguistique saussuriennes débattues par le structuralisme français dans les années 60 et où Derrida a affiné ses premiers fleurets. Or, quand j’ai repris ces questions dans les années 80, le champ avait été abandonné et il s’est présenté à moi comme le vis-à-vis d’une science plutôt récente et d’une pensée philosophique fort innovatrice qui avait traversé cette science-là. Tandis que la philosophies des sciences me semblait une sorte d’affaire entre deux veufs qui mettent leurs habits ensemble pour se faire compagnie le soir de leur existence, incapables de perdre les habitudes de leurs longues vies, je me trouvais fasciné devant un couple vierge capable se changer l’un devant l’autre. Derrida avait en effet passé par la ‘différence’ saussurienne pour affirmer son questionnement entre philosophie, oralité et écriture, tandis que le débat structuraliste que j’ai pu lire s’était émoussé dans des positions philosophiquement antagoniques inadéquates à ce qu’il y avait de singulier dans la nouvelle science. C’est après être arrivé à comprendre cet enjeu que la porte phénoménologique d’accès aux autres sciences s’est ouverte, que le ‘retrait de l’être’ découvert quelques années plus tard chez Heidegger lecteur d’un chapitre de la Physique d’Aristote est venu élargir.
12. Celui-ci avait en son temps lu ce que nous appelons ‘réalité’ comme phusis, ce qui croît et s’épanouit, non seulement les vivants mais aussi les maisons et villes des humains, leurs œuvres poétiques et rhétoriques. C’est-à-dire que cette ‘réalité’ a été ordonnée philosophiquement, la phusis en tant que l’être. Si Heidegger a souligné l’importance décisive de la Physique d’Aristote pour l’Europe, sous un certain aspect, c’est toutefois Platon qui a gagné, si l’on peut dire : quand philosophes ou scientifiques explicitent ce qu’ils appellent ‘réalité’ (res), ils énumèrent des ‘choses’ diverses sans aucun contexte. Car le contexte, cela a été mon premier mot, est ce qui a été réduit par la définition et par le laboratoire, c’est ce qui reste toujours de non connu, non pensé (pas de phusis). Et pourtant, quand un scientifique veut analyser un phénomène dans son laboratoire, en posant une hypothèse théorique, comme on dit, il doit aller le chercher à son contexte, le ‘nettoyer’ disons, avant de le mettre en mouvement pour lui mesurer le parcours. Cette hypothèse viendra intégrer la théorie déjà confirmée, supposée correspondre à la ‘réalité’. Mais tout se passe comme si l’on oubliait le dernier pas qui complèterait celui d’aller le chercher dehors, on oubliait de vérifier si la découverte jouait bien… mais avec quoi ? Ladite ‘réalité’ est disperse et sans contextes connus, avec quoi fallait-il confronter le résultat laboratorial ? En ce qui concerne la Physique, les résultats mesurés sont vérifiés dans les variables de l’équation, la vérification se réalise donc au-dedans du laboratoire. Dehors, c’est toujours ce que l’on ne sait pas sinon par des récits et des opinions, qui n’ont pas de valeur scientifique ou philosophique. La loi de la gravité, par exemple, selon laquelle les choses tombent vers la terre toutes avec la même accélération, ne peut pas être vérifiée à cause de la résistance de l’air sur les surfaces des choses. Dans un tube en verre où l’on puisse faire alterner l’air et le vide, nos yeux voient l’improbable loi dans le second cas, une plume qui tombe de même qu’une bille de plomb, mais ce tube est un laboratoire !

Règles et aléatoire
13. Ce qui est en question, c’est de savoir comment les règles que les sciences découvrent au laboratoire fonctionnent au dehors. L’idéologie européenne est que le laboratoire manifeste le déterminisme de tout l’univers[2] : une fois que ce soit prouvé de façon expérimentale, c’est universellement déterminé. Mais donc à quoi bon le laboratoire ? Faisons un détour, d’un laboratoire de scientifiques, le seul dont j’ai parlé jusqu’ici, vers celui des ingénieurs de voitures. La question change radicalement, car c’est la vérification du fonctionnement de l’artefact dans la ‘réalité’ hors du laboratoire qui y est primordiale, de façon telle que l’on peut dire que, à l’envers du scientifique, l’ingénieur a les yeux tout le temps hors du laboratoire, pas dans la ‘réalité’, mais dans la scène de circulation du trafic : c’est celle-ci, en effet, qui détermine l’‘anatomie’ d’une automobile (d’un camion, d’un vélo, d’une carrosse) comme un appareil qui doit pouvoir avancer plus ou moins vite, accélérer ou freiner, tourner à droite ou à gauche, voire reculer, avertir les autres voitures, les regarder en face ou derrière, etc. À ceci, il faut ajouter quelque chose capable de lui donner du mouvement, un moteur, à son tour aveugle par rapport au trafic. En quoi ceci regarde notre question ? Il s’agit de comprendre que tout ce que dans le laboratoire est expérimenté rigoureusement selon diverses régions de la physique et de la chimie, en des conditions de détermination que rendent possible de cerner des causes et des effets de mouvement, toutes les règles selon lesquelles l’automobile est fabriqué s’exercent selon l’aléatoire du trafic dont la loi est la théorie de l’ingénieur,s i l’on peut dire : c’est en vue de cet aléatoire que l’on fait la voiture.
14. Si l’on revient aux laboratoires scientifiques, songeons par exemple aux biochimiques de biologie. Soit au niveau des cellules et de leur métabolisme permanent, soit du sang qui leur amène les molécules dont elles ont besoin, soit de l’appareil digestif et respiratoire qui ‘charge’ ce sang-là, soit du cerveau et d’autres glandes hormonales, soit des organes périphériques qui rendent possible de se situer dans la scène écologique et des muscles qui s’y déplacent, les innombrables et minutieuses règles qu’on y découvre sont au service de a circulation dans cette scène : pourquoi ? Parce les complexes molécules dont les cellules ont besoin doivent être, entre autres, des molécules de carbone, qui n’existent que dans les plantes (par photosynthèse), dans les herbivores ui les mangent en devenant nécessairement les proies idéales des carnivores. Ce cycle biologique du carbone explique la loi de la jungle qui détermine les anatomies de toutes les espèces zoologiques (les grandes différences entre elles montrant qu’une telle détermination n’est pas déterministe) qui doivent chercher des plantes ou animaux pour leur autoreproduction et échapper à d’autres qui veulent en faire leur nourriture. Des règles et de l’aléatoire.
15. C’est pareil pour les règles d’une langue, phonologie et morphologie, syntaxe et sémantique, codes textuels selon les paradigmes de leurs corpus : ces règles – parfois fort subtiles, des dizaines en chaque frase sans qu’on y songe quand on les utilise sous peine de ne pas parler – agissent de façon presque toujours correcte jusque chez les analphabètes et les petits enfants avec l’extraordinaire agilité que l’aléatoire de la conversation demande, où l’on ne sait jamais bien ce que l’autre va dire et donc qu’est-ce qu’il faudra lui répondre. Et l’on pourrait continuer avec les exemples des usages d’une maison ou d’une usine, des usages que l’on a appris mais que souvent présentent des altérations qui obligent d’improviser, ou bien les lois des tribunaux que les juges doivent adapter à chaque cs concret, et ainsi de suite. Même la physique n’y échappe pas, la voiture en sert d’exemple. Aucune pierre ne tombe, selon la loi de la gravité, certes, si quelque chose d’aléatoire ne la meut pas, pied qui la pousse ou son sol qui s’ébranle.
16. Toute ‘réalité’ est indéterminée, ce que les sciences découvrent – dans leurs laboratoires conçu selon des conditions de détermination – ce sont des règles qui sont adéquates à cette indétermination. Ce qui signifie que la Philosophie avec Sciences présente un autre avantage inestimable en termes de théorie de la connaissance : ce que l’on dit ‘réalité’ cesse d’être des tas de choses quelconques en vrac pour s’organiser en des scènes de circulation dont les lois sont connues. Et les mécanismes singuliers qui s’y meuvent, le font en autonomie selon les règles que les sciences découvrent selon leurs espèces (molécules, biologiques, sociétés, langues) : avec Heidegger on comprend que ces règles des scènes, celles de touts les autres mécanismes, hétéronomie, sont données à chacun (nourriture, apprentissage) comme leur autonomie, donation toutefois en retrait de façon à laisser que cette autonomie soit réelle. La détermination qui découvre l’hétéronomie au laboratoire est donc structurellement corrélative de l’indétermination de chaque autonomie. A sa manière, la Physique d’Aristote, sa Philosophie avec Sciences, posait aussi l’ousia (essence substance) et ses accidents indéterminés.
17. La dernière chose à préciser dans cette question du laboratoire n’est pas moindre, puisqu’elle nous fait souffrir à tous. Il réduit le contexte de ce qu’il permet de découvrir, si c’est un laboratoire de sciences physiques ou (bio)chimiques, mais aussi celui de l’ingénieur, qui utilise les résultats découverts tout en ignorant les contextes qui vont au-delà de ce qu’ils inventent : la pollution résulte de cet aveuglement réducteur. Si une voiture chasse des gaz, son laboratoire n’a pas expérimenté leurs incidence sur la respiration des indigènes, ce qu’un autre laboratoire, de médicine devra faire ensuite. Ce que l’on dit « effets secondaires », de même qu’en pharmacie, sont des effets que le laboratoire n’a pas pu considérer, ils ne faisaient pas partie du teste expérimental. Voici donc la difficulté de l’énorme question des altérations climatiques : elles arrivent dans ladite ‘réalité’ sans qu’il y ait des laboratoires pour les tester, que des statistiques. C’est en jouant avec les archives de ces statistiques que l’on bâtit un ‘laboratoire’ qui procède à faire admettre des convergences  entre plusieurs facteurs mesurés. La difficulté est politique : comment convaincre avec ces arguments probabilistes ceux dont les intérêts particuliers dominent les réseaux de spéculation financière et les dirigeants politiques qu’ils captivent avec des emprunts, intérêts et dettes ? Et convaincre les électeurs ? Combien de catastrophes seront nécessaires ?
18. Revenons au paradoxe du § 6. La tradition philosophique issue des Grecs, de leur invention de la définition, est venue jusqu’à Heidegger en tant que ‘la pensée pense’, cherchant à connaître ce qu’elle observe. La ‘labeur’ du laboratoire avec mathématique et instruments de mensuration a changé cette économie du savoir en ce qui concerne les usages sociaux, la technê : c’est la technique scientifique maintenant qui ‘élabore’ la connaissance, qui transforme les usages sociaux, laissant à la pensée, scientifique y comprise, le statut disons de compagne interprétative, qui suit derrière l’élaboration de la technique, du ‘système technique’ et financier, ce que Heidegger a appelé Ge-stell et est devenu bien plus menaçant ces dernières décennies. Il échappe au contrôle des humains, qui sont ‘usés’ en lui comme nouvelle condition humaine. Je voudrais que cette réflexion montrant que le système technique et financier n’est pas déterministe mais plein d’indéterminations puisse aider à chercher des issues en cette si difficile époque.


[1] Il ne les donne pas, d’ailleurs ; au lieu de nos notations algébriques il faisait ses démonstrations par de la géométrie.
[2] Nous devons donc envisager l'état présent de l'univers comme l'effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux” (Laplace, Essai philosophique sur les probabilities, Web).

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